Comment êtes-vous arrivé sur ce projet de Paris ?
Sarah-Jane Sauvegrain : J’avais 39° de fièvre, j’étais malade quand je me suis rendue sur le casting. Il fallait chanter un truc. J’ai choisi une chanson de Erik Satie, qui s’appelle «Je te veux». On m’a rappelé trois jours plus tard. Je connais un peu l’univers de la musique. Avant de rentrer au Conservatoire National, je me suis amusée avec un groupe de rock. Je faisais des petits concerts dans des bistrots. J’aime vraiment ça.
Qu’est-ce qui vous a donné envie de jouer le rôle d’Alexia ?
Le challenge d’être un homme et en même temps, j’ai été séduite par son rayonnement. Mon personnage est transgenre, mais il traverse aussi les genres dans la série. Ca me disait vraiment de participer à cette histoire qui parle de milieux sociaux complètement différents, et de faire le lien entre les personnages, d’essayer de rassembler les histoires.
C’est vrai que votre personnage est une sorte de pivot dans Paris.
Oui, il connait tout le monde ! J’ai un lien avec tous. C’est aussi car je suis le seul personnage qui fait de la scène dans cette série. Elle a un rapport au public, aux gens, différent des autres. On sent une grande ouverture. Je crois que c’est un personnage généreux. Elle a envie d’aller vers les autres. Elle a fait des choix durs dans sa vie, et ça n’a pas été sans souffrance. Mais elle aime accompagner les autres et être à leur écoute. Ca lui permet d’évacuer son propre stress et d’ailler de l’avant.
Quel travail documentaire avez-vous effectué pour rentrer dans la peau d’Alexia ?
Il fallait que je rencontre de vrais transsexuels. Et j’ai été très étonnée : ce sont des femmes très passe-partout, loin de l’image sexy qu’elles ont tendance à renvoyer. Elles ont la jupe sous les genoux et ressemblent à la bourgeoise type. On ne fait pas la différence. J’avais une vision des transsexuels obnubilés par leur féminité, et donc qui veulent la pousser à l’extrême. Et en fait, pas tant que ça. En faisant certaines recherches, on se met à comprendre ces gens-là. Je dois avouer qu’avant ce rôle, je ne comprenais pas. Je voyais ça comme une fuite en avant. Oui, on peut ne pas accepter d’être un homme, se sentir femme. Mais aller se modifier le corps, faire de la chirurgie, c’était l’incompréhension totale pour moi. J’ai ensuite compris leur besoin d’être reconnues comme des femmes, qu’au premier coup d’oeil on se dise «C’est une femme». C’est ce qu’elles ressentent au plus profond d’elles. Et ces chirurgies permettent de résoudre un profond mal-être. Elles passent par des stades très durs, où il leur reste trois poils de barbe… Certaines étapes sont assez monstrueuses.
Comment avez-vous appréhendé la fameuse scène où le corps d’Alexia est entièrement dévoilé ?
On ne savait pas trop s’il fallait montrer la chose ou si le regard du jeune garçon pouvait suffire. C’était osé d’aller jusque-là. Cette poitrine naissante avec cette prostate qui se rétrécit à cause de la prise d’hormones, c’est aussi appeler « un chat un chat », mettre des images sur ce qu’on cache d’habitude. Pour les personnes qui sont transgenres et qui se modifient, montrer ça c’est assumer qu’on traverse des étapes. Ca fait partie de la vie, et du quotidien de certaines personnes. Ca existe.
Votre personnage évoque celui tenu par l’actrice Chloë Sevigny dans Hit & Miss.
Oui, avec la scène de la douche. J’ai vu la série mais après avoir joué dans Paris. Je me suis surtout inspirée du réel pour Alexia. J’ai quand même regardé le film Transamerica (avec Felicity Huffman dans le rôle d’une transsexuelle qui cherche à se faire opérer, ndlr) mais ce sont plus les expériences réelles qui m’ont aidé. J’observais leurs gestuelles, la manière de marcher qui est différente quand vous avez un sexe d’homme.
On sent une vraie souffrance aussi du côté des liens familiaux. Les parents d’Alexia ne la comprennent pas.
Oui, ce sont des gens qui nous ont donné la vie et le sexe qu’on a eu à la naissance. Certains parents le prennent très bien, mais d’autres ne comprennent pas et se sentent responsables. Ils se disent qu’ils ont dû rater quelque chose, même si ce n’est pas de leur faute. Il y a un nœud qui se crée. Soit ils s’éloignent et ne parlent plus à leurs enfants, soit ils l’acceptent et vivent avec. Mais il y a des non-dits, des choses qu’on regrette. C’est compliqué.
Qu’est-ce qui vous a donné le plus de difficultés dans l’interprétation de ce personnage ?
Bizarrement, les moments où je dois chanter. Certaines scènes de cabaret sont très intimes, et d’autres avec beaucoup de figuration. Ca revient à donner un concert devant 300 personnes. Je n’avais jamais fait ça de ma vie (rires)! C’était le plus impressionnant.
Avez-vous une appréhension quand à la réception du public ?
Je me demande évidemment comment les gens vont recevoir ce personnage, mais j’espère surtout que les vrais transsexuels n’y verront aucune ironie, aucune critique ou chose un peu fastoche, vulgaire. J’espère que mon personnage est assez réaliste pour que l’un d’eux puisse s’y reconnaître.
Paris, série de Arte 6×52 min, diffusion premier semestre 2015