Rick Potion #9 avait débuté comme n’importe quel épisode de Rick & Morty. Rick bossait sur une invention et avait besoin qu’on lui passe un tournevis et Morty avait un bal de lycée contre la grippe (ne cherchez pas, c’est Adult Swim) et besoin de quelque chose pour séduire Jessica, la fille qui avait justement la grippe et pas besoin de Morty dans sa vie. Pas un problème pour Rick qui, dans la grande tradition de nombreux épisodes de séries sur le même thème, concocte en quelques secondes un philtre d’amour qui ne présente aucune contre-indication… « sauf si elle a la grippe ».
Le philtre appliqué, Jessica se met à twerker sur Morty mais le virus aidant et se propageant (couplé à l’effet de l’invention de Rick), c’est tout le lycée (élèves, profs et proviseur Vagina inclus) qui tombe sous le charme de Morty. Cela tourne rapidement au remake de Zombie mais heureusement, Rick arrive et ayant toujours plus d’un tour dans son sac, gaze les prétendants de Morty qui se transforment alors en mantes religieuses mutantes. Pendant ce temps, Jerry, le père de Morty, persuadé que sa femme le trompe, défonce au pied de biche le crâne du gars qui tentait de la séduire et l’emmène avec lui abattre tout un tas de créatures ignobles, devenant ainsi le mâle alpha qui manquait au couple.
Après une pause dans le désert, Rick conçoit un ultime antidote qui transforme cette fois l’intégralité de la population mondiale en créatures cronenbergiennes toutes en excroissances et difformités que la série, créée par Justin Roiland (qui fait aussi les voix du duo titre) et Dan Harmon, adepte de la référence, appellent tout simplement les Cronenbergs. Nuit noire de l’âme, la situation ne pourrait pas être plus désespérée, Morty confronte son grand-père sur son absence totale de sens des responsabilités, Rick fait remarquer à son petit-fils qu’il n’est pas le dernier à ce niveau là et qu’il lui a tout de même demandé, en bon forceur, un équivalent de drogue du violeur pour séduire une fille qui savait à peine qu’il existait et… avant que les choses s’enveniment, le vieillard a une dernière idée qui pourrait « relativement » tout remettre dans l’ordre.
Cut sur la maison de Morty. Le journal fraîchement balancé sur le paillasson indique qu’une épidémie mondiale a été évitée et Rick et Morty descendent de la soucoupe volante et se congratulent sur l’issue heureuse des évènements. Nous sommes clairement dans une résolution classique de crise et un happy end bouclant la boucle alors que Rick retourne à son invention de départ et demande un tournevis, diligemment apporté par Morty et l’utilise sur sa nouvelle création qui leur pète littéralement à la gueule et les laisse morts et disloqués. Passé l’instant rire gêné face à la shock value de ce que nous venons de voir, un vortex apparaît et Rick et Morty que nous avions laissés en train de se disputer apparaissent.
Morty panique totalement. C’est vrai que tomber sur son propre cadavre doit faire un choc. Rick le calme à grands coups de gifles. Il lui explique qu’il y a un nombre infini de réalités alternatives et que celle-ci, où ils allaient mourir, était la mieux indiquée pour finir leur voyage puisqu’ils n’ont qu’à remplacer leurs défunts avatars, comme si de rien n’était. Commence alors la chanson de Mazzy Star, Look On Down From The Bridge, tandis que Morty, dans la dépression et l’incrédulité la plus totale, enterre sa propre dépouille encore fraîche et aux os saillants ici et là avant d’assister à une dispute de ses parents et de rejoindre sa sœur et son grand-père devant la télé. Comme si de rien n’était, alors que rien ne sera plus jamais pareil. Cut sur le générique de fin et une scène post-crédits où les parents de Morty (et sa sœur) restés dans le monde des Cronenbergs se demandent vaguement ce que sont devenus Rick et Morty avant que la mère avoue, histoire d’entériner la déprime ambiante, qu’elle est enfin heureuse maintenant qu’ils ne sont plus là.
Alors que la série n’avait jamais préparé qui que ce soit à ce genre de twist dans la lignée de la littérature de SF et encore moins au désespoir existentiel qui irait avec, Rick & Morty réussit l’exploit d’émouvoir, alors qu’elle ne faisait que faire rire en se moquant d’Inception ou en pastichant La Planète des Singes en remplaçant les primates par la population mondiale de chiens domestiques devenus supérieurement intelligents. En soi, cette séquence ne pourrait être qu’un twist facile pour finir l’histoire de façon ironique et cynique, à la manière d’un épisode d’Au Delà du Réel ou de La Quatrième Dimension, et un pied de nez de plus dont la série a le secret mais c’est dans sa mise en scène, d’une simplicité et d’une honnêteté apparemment non feinte, qu’elle convainc.
Tout d’abord, le choix musical, apparenté à de la dream pop, apporte une tonalité éthérée et irréelle à la scène à laquelle nous assistons. Un grand-père et son petit-fils enterrent leurs propres cadavre dans le jardin du pavillon familial et ils font ça sur une chanson qui n’aurait pas dépareillée dans un épisode de Grey’s Anatomy. Quelques notes d’orgue se font entendre dans une partition qui est sinon très douce et agréable, impression renforcée par la voix de la chanteuse. Si cette chanson avait été prise seulement pour illustrer platement ce que nous voyons et susciter, de façon cheap et facile, des émotions chez un spectateur pris en otage par une belle musique et de jolies images (il paraît que des gens pleurent devant des publicités accablantes de vacuité mais accompagnées de la « bonne » musique), elle aurait été parfaite.
Heureusement Rick & Morty voit plus loin.
Au delà de l’aspect esthétique de ce choix musical, le texte qui va avec est tout aussi important et met des mots sur ce que le pauvre Morty a en tête à ce moment là. Alors que la chanteuse exhorte l’auditeur à prendre du recul sur une situation quelconque (« Look on down from the bridge »), elle lui fait aussi remarquer que les choses restent les mêmes (« There’s still fountains down there » et « It’s still raining up here ») et c’est ce que Morty découvre alors que Rick laisse le frigo grand ouvert après s’être servi à boire et qu’il assiste à une énième dispute de ses parents.
Alors que les mots « Everybody seems so far away from me » s’égrènent, l’expression sur le visage de Morty est révélatrice : c’est son père et sa mère qu’il observe en train de s’engueuler, mais le sont-ils vraiment ? Le cadre à ce moment précis fait sortir les visages de ses parents, accentuant l’idée que ces corps sont bien ceux de ses géniteurs mais qu’ils ne sont que ça, sans visage, ils n’ont plus leur identité et ils n’ont plus l’identité que Morty leur attribue, dans une réflexion n’étant pas sans rappeler celle de L’Invasion des Profanateurs, le classique SF de Jack Finney. La phrase suivante « Everybody wants to be free » mise en relief avec le couple de parents en crise perpétuelle, coincés dans leur mariage sans amour et le plan suivant montrant Rick en train de boire devant la télé et la sœur de Morty, plongée dans la consultation de son téléphone, nous laisse entendre que tout le monde voudrait une autre vie et nous finissons le plan sur Morty, qui a la « chance » de vivre une autre vie et qui ne voudrait qu’une chose : ne jamais en avoir changé.
De même, il faut noter que la mise en scène de l’épisode (et de la série) jusqu’alors très formatée et similaire à celle des Simpsons, Family Guy ou American Dad et souvent fonctionnelle se fait, pour cette séquence, beaucoup plus intimiste et proche de son personnage. Ce n’est pas une première en animation télévisée mais utilisé à bon escient, cela fait son petit effet. Les gros plans sont nombreux et les tracking shots ne lâchent plus Morty. Le travelling suivant le visage de Morty alors qu’il marche et trouve ses parents en pleine dispute est révélateur de cette intention consistant à « traquer » le ressenti de Morty et sa détresse alors que la chanteuse dit « Look away from the sky / It’s no different when you’re leaving home », comme un encouragement à passer à autre chose. Le dernier plan de l’épisode suit la même logique et y ajoute une nouvelle dimension alors que Morty se cale devant la télévision auprès de sa sœur et de Rick et nous gratifie d’un long regard caméra tandis que celle ci prend du recul sur la situation qui nous dévoilerait qu’en effet, rien n’a changé. Sauf que le générique démarre avant que la valeur de plan puisse changer et nous laisse avec Morty pour qui tout a changé.
Tandis que le générique défile, la chanson continue et son message se fait clair et évident. « I can’t be the same thing to you now / I’m just gone, just gone » nous met face à l’ampleur de la crise existentielle de Morty qui pourrait faire bonne figure et suivre le mouvement initié par Rick (de toute évidence habitué à ce jeu avec les réalités alternatives, évoquant même celle où Hitler aurait trouvé un remède contre le cancer) mais son impossibilité actuelle à reprendre le cours de sa vie. Il n’est tout simplement plus là. Alors que le générique s’achève sur la question « How could I say goodbye » posée deux fois de suite, nous savons que pour Morty, faire son propre deuil et aller de l’avant ne sera pas chose aisée.
Une utilisation quasi équivalente de la même chanson avait eu lieu dans un épisode de la première saison des Soprano. C’était lors de l’enterrement de Jackie Aprile et à l’occasion d’une séquence, rendue planante de par ce choix musical, pendant laquelle Anthony Junior réalisait définitivement le statut de ponte de la mafia de son paternel sous le regard amusé de sa sœur Meadow, déjà au courant et habituée à ce mode de vie. L’effet était alors le même que dans Rick & Morty créant un même sentiment flottant de perte d’innocence et d’épiphanie existentielle pour le personnage. Alors que Morty devient conscient de sa propre mortalité de la façon la plus frontale qui soit, le fils Soprano découvrait lui que son modèle dans la vie n’était pas forcément un type bien et il allait devoir, lui aussi, se faire à cette idée et vivre avec ça. Etant donné l’étendue du référence game de Dan Harmon et des auteurs qui l’entourent, la coïncidence ne peut pas être innocente et est d’autant plus savoureuse. Quitte à chercher de l’inspiration ailleurs, autant choisir les meilleurs.
Heureusement, dès l’épisode suivant, tout sera oublié (ou presque) et c’est là tout le génie de cette série qui après sa première moitié totalement délirante saura rester dans cette mouvance tout en apportant beaucoup de cœur à son propos et en offrant une texture folle à ses personnages. On évoque souvent Pixar pour ses thématiques soit-disant adultes et bouleversantes mais si vous cherchez un propos réellement intelligent et novateur sur ce que c’est que de trouver sa place dans l’univers ne se limitant pas à être le vilain petit canard qui apprend à changer juste assez pour se fondre dans le groupe dominant (soit le pitch de quasiment tous les Pixars qu’ils mettent en scène des jouets, des insectes ou des voitures avec des dents), alors Rick & Morty est faite pour vous. Et votre descendance si vous êtes des parents laxistes. Et cools.
Mazzy Star – Look On Down From The Bridge
Look on down from the bridge
There’s still fountains down there
Look on down from the bridge
It’s still raining, up here