Les saisons passent et le portrait de Ray Donovan, l’un des personnages les plus fascinants à la télévision depuis Tony Soprano et Don Draper, se complexifie à mesure que la série s’impose comme l’une des grandes réussites de ces dernières années. Alors qu’Ann Biderman, créatrice et showrunner de la série a été remerciée vers un poste à priori ingrat de productrice consultante, nous reprenons l’histoire avec le départ d’une autre figure tutélaire, Ezra, mentor et père de substitution qui avait, comme son géniteur, trahi Ray. Livré à lui-même, ce dernier ne tarde pas à dénicher une nouvelle figure paternelle en la personne d’Andrew Finney (Ian McShane), milliardaire méphistophélique séduit par ses compétences mais surtout par son âme.
Le problème dans l’appropriation d’une âme, c’est qu’il est difficile de saisir celle d’un homme qui a enfoui la sienne sous des couches de déni, de rage intériorisée et de violence plus ou moins contenue. Dès lors, il faut trouver un autre accès et il est tout trouvé avec la continuation de la storyline de Terry, le frangin boxeur et parkinsonien désormais en prison, plus occupé à sauver sa peau à grands coups d’haltères dans les dents des confrères aryens qu’à préparer un dossier de libération pour bonne conduite. Terry est une anomalie dans le monde de Ray Donovan. Dans ce monde où il y a toujours un arrangement, des échappatoires, des magouilles et des cartes à jouer pour ne pas faire face à la justice des hommes, Terry veut purger la sienne et ne plus rien avoir à faire avec sa famille et surtout son frère.
Libérer Terry devient pour Ray, au delà de l’impératif familial, une façon tordue de payer pour ses propres crimes ainsi qu’un révélateur de sa culpabilité et de sa trop grande conscience du fait que la pire des peines est celle que l’on s’inflige soi-même. Trop fort pour être arrêté ou mis hors d’état de nuire, Ray n’est pourtant pas tout-puissant et foncera rapidement dans les bras de Finney, nouveau subtitut paternel immédiatement attirant pour un Ray sachant pertinemment qu’il ne fera que le repousser…
Souvent jugée à l’aune des Sopranos, Ray Donovan souffre inévitablement de cette comparaison putative. Plus axée sur la tragédie que sur le côté great American novel du chef d’oeuvre de David Chase, la série vire vers l’ersatz dans sa propension à s’attarder sur des intrigues bâclées (les Finney évacués lors d’un flash info en arrière plan) pour par contre offrir des conclusions dignes de ce nom à des sous-intrigues qui ont été développées de façon plus hasardeuses (les Arméniens, et plus généralement tout ce qui arrive aux “autres” membres de la famille). Mais ce qui fonctionnait chez Sopranos grâce à une écriture d’orfèvre fait ici penser au travail d’un copiste appliqué et rigoureux auquel il manque l’originalité nécessaire au génie.
Bien sûr, les oripeaux du polar participent à la séduction de la série. Nous sommes immergés dans un univers rappelant le roman noir à la Chandler, les baraques cossues, les projets immobiliers, les gros sous, les grands secrets et la violence tapie derrière chaque porte close. L’univers créé et exploité à plein renvoie aux grandes sagas du roman noir où le plaisir est de croiser ces seconds couteaux hauts en couleur – ici le retour inattendu de l’antagoniste principal de la saison 2, énième figure tragique et Ray Donovanienne en diable d’un homme ayant touché du doigt son fantasme absolu mais qui a vu sa vie réduite à néant quand il a eu le malheur de croiser Ray et son équipe. Ajoutez à cela le (vrai) père de Ray, Mickey (Jon Voight, toujours au sommet) aux prises avec une famille de truands arméniens ultra-violents et vous pouvez être convaincus que Ray Donovan ne fait pas que dans l’étude noire comme une nuit sans lune de personnages torturés.
Le polar cool est constamment et irrémédiablement contaminé par la noirceur de ses protagonistes et leur passé. Ne faut il pas voir en Paige Finney (Katie Holmes), la fille aux dents encore plus longues et acérées que celles de son père, un renvoi à l’image de la soeur que Ray n’a pu sauver dans le temps ? D’où les bagues aux dents pour rappeler ce côté juvénile qui a peut être fait tilt chez Ray ? Dès lors, le jeu d’attraction/répulsion entre les deux personnages prend une allure malsaine confirmant l’état d’âme damnée de Ray qui se complaît dans l’obscurité alors que son frère Bunchy, victime des mêmes sévices étant môme passe la saison à fonder une famille. Been there, done that pour Ray qui a fait de sa famille un pis aller dont il ne comprend plus les membres (sa femme n’y croit plus, sa fille se barre et son fils est fantômatique) et un point d’ancrage malgré les nombreux germes de destruction qu’elle recèle en son sein.
Le germe principal est celui de la figure antédiluvienne du patriarche : mise à mal, critiquée et remise en question depuis le pilote. Occupé à vivre la grande vie à base de coke et de putes, Mickey laisse les rênes à Ray qui réalise enfin qu’il devient celui qu’il a toujours combattu. Son père. Malgré tous les coups en douce, les trahisons, les mensonges et tout ce qui figure sur la liste d’ingrédients Marmiton de la bonne famille dysfonctionnelle, Ray Donovan et son père s’allient, autant par contingence que par entropie tragique, dans ce qui reste le morceau de bravoure de la saison pour une expédition punitive chez les gangsters Arméniens où les flingues parlent, le sang est versé et les ressentiments se taisent. Au moins pour un moment. Un moment dans lequel les personnages font paradoxalement preuve d’une grande humanité malgré l’extrême violence de leurs actes ou de leurs sentiments à l’égard des uns et des autres.
C’est d’ailleurs là que cette troisième saison surprend. Malgré sa noirceur inhérente à la série et sa violence parfois exacerbée, cette saison est peut-être la plus optimiste de la série. Alors que la saison précédente s’évertuait à rappeler le destin d’Icare à ses personnages, cette troisième saison offre, en apparence, de véritables portes de sortie à ces derniers. Même Ray trouve la paix lors d’une scène de confession, véritable climax émotionnel de la saison, aussi bouleversante par son écriture mettant à nu le personnage que grâce à l’interprétation de Liev Schrieber, aussi brillante qu’un Emmy Award tout neuf. Même l’épilogue de la saison, marquant le retour de Ray, blessé physiquement mais soulagé moralement, vers downtown L.A. carressée par le soleil levant, est symptomatique de cet état d’esprit plus lumineux et semble annonciateur de la suite. Et si après cette saison de la Révélation, la quatrième était celle de la Transfiguration avec un Ray tentant de marcher droit, à la recherche de rédemption, dans un monde complètement tordu et corrompu ?