L’arrivée de Bruno Dumont sur le petit écran ne risque pas de passer inaperçue. Après une projection à Cannes, suivie des déclarations tonitruantes du cinéaste de L’Humanité («France Télévisions et ses rigolos qui méprisent le public» dans un papier du Monde) et d’une flopée d’interviews contradictoires, P’tit Quinquin arrive enfin sur Arte pour deux soirées, jeudi 18 et 25 septembre. Il était temps de laisser parler l’oeuvre d’elle-même. Pour ceux qui l’ignoreraient encore, cet ovni composé de quatre épisodes raconte l’enquête surréaliste de deux policiers dans un village côtier du Boulonnais, alors qu’une série de meurtres saugrenus frappe ses habitants. Le commandant Van der Weyden, flanqué de son second, le lieutenant Rudy Carpentier, sont plongés comme ils le disent à maintes reprises «au coeur du mal». Autour d’eux traîne une bande de gamins désoeuvrés de la région, dirigée par le jeune P’tit Quinquin et son amoureuse, Eve. Parodie de séries policières, mais aussi portrait d’une société française en déliquescence, gangrenée par le racisme ordinaire (l’épisode 4 baptisé “… Allah Akbar” est particulièrement édifiant), tragi-comédie burlesque parsemée de scènes poétiques: P’tit Quinquin, oeuvre bien plus humaine et complexe qu’il n’y paraît, est un peu tout ça à la fois.
Comme à son habitude, Bruno Dumont a recruté des acteurs amateurs, de vraies tronches inoubliables au jeu plus malléable que celui des pros. Le résultat est une fois de plus complètement bluffant. Bernard Pruvost, jardinier de son état, incarne un « policier-clown » complètement détraqué, de son corps secoué de tics en tous genres (ses yeux exorbités et cette démarche militaire rendue grotesque par ses mains grandes ouvertes, pendues le long de son corps) à ses sorties tonitruantes et répétées pour faire régner l’ordre («Gendarmerie nationale hein, donc bon»). Autour de lui, des protagonistes tout aussi étranges s’agitent : un couple d’enfants qui s’aime comme des adultes et se donne du «mon amour» avec une sincérité désarmante, une wannabe chanteuse capable d’interpréter une seule chanson pop répétée en toutes circonstances (des funérailles à un concours de chant local), beaucoup trop de membres de la famille Lebleu …
True Detective chez les Nordistes
Et tandis que l’enquête avance tant bien que mal (mais surtout mal !), les morceaux de bravoure burlesques s’enchaînent. Dans le genre comique, P’tit Quinquin est tout aussi génial que True Detective. Les deux séries partagent d’ailleurs plusieurs motifs et thèmes communs : le duo de flics atypique, les Cht’is dans le rôle des “white trash”, les Lebleu à la place des Ledoux et un goût certain pour les scènes de crime esthétiquement marquantes. Même la touche mystique et métaphysique de True Detective est présente dans Pt’it Quinquin («C’est l’enfer, le diable en personne !» lance un Van der Weyden terrassé par la puissance du mal sur Terre), jusqu’à la résolution de cette enquête policière sans queue ni tête (au sens propre pour l’une des victimes). Toute l’originalité de la mini-série repose sur le sens du comique si particulier de Bruno Dumont, pas franchement grand public mais pas intello pour un sou non plus. Il semble ne pas avoir de limite créative. En dehors de toutes les qualités de cette ubuesque partie de Cluedo, c’est peut-être ça qui nous réjouit le plus : assister à la naissance d’une oeuvre visiblement imaginée dans une liberté absolue, son auteur ayant eu carte blanche de la part d’Arte. Le cinéaste ne s’y est pas trompé. Il reviendra squatter la chaîne franco-allemande avec une nouvelle histoire complètement abracadabrante, à laquelle il est totalement impossible de croire sur le papier : l’enfance de Jeanne d’Arc en comédie musicale. Toujours dans le Boulonnais bien sûr.