De tendance avec l’explosion du phénomène Mad Men à la fin des années 2000, les séries rétro sont devenues un genre à part entière, qui produit chaque année des ratés, mais aussi de formidables petits bijoux. Après Peaky Blinders et Masters of Sex, deux des nouvelles séries les plus excitantes de l’été prennent pour sujet le passé : The Knick (on vous en reparle très vite) et Manhattan. Créée par Sam Shaw (un ancien de Masters of Sex), cette dernière se déroule en 1943 pendant la Seconde Guerre Mondiale, et s’intéresse au fameux Projet Manhattan, nom de code du projet de recherche qui a conduit à la fabrication de la première bombe atomique. Au nouveau laboratoire de Los Alamos au Nouveau-Mexique, des scientifiques triés sur le volet vivent avec leurs épouses sous le contrôle de l’armée. Deux équipes menées par de brillants physiciens ont pour mission secrète de fabriquer une bombe atomique, qui mettrait fin à la guerre. D’un côté, l’équipe de Reed Akley voit arriver un atout de poids en la personne du jeune Charlie Isaacs, génie des équations qui vient habiter sur le site avec sa femme. Une autre équipe plus officieuse menée par Frank Winter, un homme au caractère compliqué, travaille aussi sur le Projet Manhattan. Le temps presse : en face, les Allemands font de même avec le génie Werner Heisenberg, Prix Nobel de physique.
Le pilote de Manhattan est aussi classique qu’efficace. Doté d’une réalisation sans génie mais d’une reconstitution réussie, il se concentre sur la mise en avant des nombreux personnages, certains historiques, certains fictifs. Sans doute aguerri par son expérience sur Masters of Sex, Sam Shaw dresse le portrait de tous ses protagonistes avec subtilité, évitant les traits de caractères trop attendus. La jeune femme de Charlie par exemple, incarnée par la prometteuse Rachel Brosnahan (vue dans House of Cards), découvre le monde du travail, plus ou moins forcée par ses nouvelles amies. Elle va évoluer en même temps que la condition des femmes pendant la guerre, sans en avoir forcément conscience. Cette série chorale s’articule autour de la rivalité entre le vieux et le jeune loup, Frank Winter et Charlie Isaacs. Autour du travail des physiciens, fil rouge principal, s’agitent d’autres groupes humains : les militaires, les services secrets (avec la peur justifiée de l’espionnage par l’ennemi) et les civils constitués de femmes, enfants et natifs américains. Et autant d’histoires à raconter : comment les femmes ont-elles vécu dans cet environnement en vase clos, quelle était la place des natifs, à quels questionnements intérieurs les physiciens ont-ils fait face alors qu’ils donnaient naissance à un monstre ? Le personnage de Charlie (Ashley Zukerman) se fait l’écho de ceux qui doutent, imaginant déjà le nombre colossal de pertes humaines à venir, tandis que celui de Frank (John Benjamin Hickey) inscrit sur un tableau tous les matins l’augmentation du nombre de morts alliés, pour rappeler à son équipe le but de leur mission : arrêter la guerre, et peut-être même toutes les guerres… Anti-héros héritier de Don Draper et Greg House (pour son caractère explosif), Frank possède un code moral très personnel. Il considère sa femme (Olivia Williams dans un joli rôle d’iconoclaste) comme son égale et méprise la médiocrité ou l’incompétence. Mais il est prêt à tout pour mener à bien son projet. Face à lui, Charlie est le petit nouveau qui découvre les codes de cet environnement si particulier. Derrière la surface, les deux hommes possèdent une part d’ombre et des secrets qui font écho au projet Manhattan. Le mensonge et la dissimulation représentent les thèmes centraux de cette belle surprise estivale. On n’en attendait pas tant de la chaîne WGN America, qui diffuse là sa deuxième série maison, après la très décevante Salem.