Un dernier tour et puis s’en va. Comme bon nombre de ses illustres prédécesseurs, Mad Men a vu son ultime saison scindée en deux parties. C’est un win-win pour toutes les parties. Le diffuseur fait grimper les audiences proportionnellement à l’attente et les producteurs peuvent voir la presse se lancer dans des articles récapitulatifs, tops et autres élégies avant l’heure. En cela, AMC peut déjà se targuer de renouveler l’essai après Breaking Bad et ses dernières semaines de diffusion sous haute tension pour le spectateur.
Mais comment amorcer la fin d’une oeuvre telle que Mad Men, série phare de la chaîne ? De la plus simple des manières: en continuant de raconter l’histoire d’un homme qui n’en finit pas de chuter et ce, dès les premières secondes du pilote. Le générique est une vue d’ensemble de la série. Don Draper est-il capable – néanmoins – d’enrayer cette chute ? Après la mort abrupte de Bert, la série reprend son récit de manière éthérée. Les arches lancées ne sont que des pistes pour le destin qui s’offrira à chacun lorsque sera venu le temps de dire au revoir aux personnages.
Peggy et Joan sont clairement en position de force face aux clients de l’agence. Leur émancipation n’est pas nouvelle mais elle est désormais indispensable après la libération féminine des dernières années. Néanmoins, dans une psychologie inhérente à la série, elle n’atténue pas moins les réels problèmes des deux jeunes femmes. Leur réussite professionnelle n’est qu’un miroir. Peggy est toujours à la recherche de l’âme soeur et Joan est constamment renvoyée à son image. Et ce n’est pas la muflerie persistante dans leur entourage masculin qui changera les choses à court terme. Mais elles ont pour elles ce doux esprit de savoir défier les conventions. Elles se plieront uniquement aux valeurs humaines où elles auront l’assurance de pouvoir s’y perdre. Des valeurs qui ont clairement pour synonyme les sentiments amoureux.
Elles se sont affirmées professionnellement mais elles cherchent encore la sérénité dans leur vie personnelle. Ce fut un pari risqué pour Weiner durant ces huit années que de dépeindre la femme à un tournant majeur du 20ème siècle mais elle n’a jamais été réduite à l’état d’objet que voyaient bon nombre des personnages. Elles sont vraisemblablement la cause de la chute de l’homme mais n’en sont pas responsables. Il ne fait aucun doute que l’homme, selon Weiner, est lui bien plus faible.
Une faiblesse caractérisée par Don Draper. Il modèle les femmes, exerce un ascendant sur elles. En leur présence, il n’est jamais meilleur storyteller. Il le sait, il est irrésistible et c’est dramatique pour lui. De sa profession aux relations, il est uniquement question de séduction. Mais s’agit-il pour lui d’une chose essentielle ? Don Draper est un imposteur. L’image qu’il renvoie est basée sur des fondations chancelantes. Il n’existe qu’à travers le singulier. Il se confond dans le pluriel. Les rencontres “uniques” le rendent naturel et donnent un réel aperçu de Dick Whitman. Celui qu’il est, ne peut plus être mais qui ne désire que vivre librement.
Lors d’un rêve qui n’est pas sans rappeler l’utilisation qu’en faisait David Chase dans les Sopranos, Don est – une fois de plus – rappelé au passé. Et c’est lors d’une séquence poignante qu’il obtiendra une vérité d’une simplicité déconcertante mais qui le déstabilisera et le mettra face à une remise en question. Don Draper n’a fait que se perdre dans l’inconnu parce que son existence est calquée sur cette incertitude. S’il reste encore un peu de chemin avant de découvrir l’issue de son destin, on peut déjà voir quelques esquisses glissées à l’écran.
Une figure hopperienne, la solitude d’un homme perdu dans un diner. Et en cela, Matthew Weiner adresse un joli clin d’oeil à son mentor David Chase et à un autre solitaire dont le destin était lié à des décisions cruciales.