Après une première saison au concept aguicheur (la police des polices à la télévision, c’était jusque là Les Boeufs Carottes ou Forest Whitaker en roue libre dans The Shield) mais décevante dans son déroulement et sa conclusion, aussi conventionnelles l’une que l’autre, Line of Duty revient avec une seconde saison désireuse de combler ses manques et de gravir les échelons du polar anglais. Le point de départ de cette nouvelle plongée au cœur de la brigade anti-corruption numéro 12 de la police de Sa Majesté est une embuscade ultra-violente coûtant la vie à quatre policiers et à un mystérieux témoin. Très hachées, volontairement confuses, bourrées d’informations posant les éléments sur lesquels le scénario reviendra constamment et d’une efficacité et d’une puissance d’implication redoutables in fine, ces cinq minutes introductives représentent ce qui fait la singularité de la série. Nous laissant sciemment dans le flou et l’incompréhension, elle annonce son programme : nous ne saurons jamais sur quel pied danser, différencier le vrai du faux sera ardu et, comme le répètent régulièrement les personnages, « faire parler un voyou est difficile, mais alors un flic, que Dieu nous vienne en aide ». Dès lors, l’étude presque philosophique de la notion de mensonge et de dissimulation à tous les niveaux de l’enquête, de la hiérarchie policière et de la société en générale devient l’un des thèmes majeurs de la série, en constante confrontation avec l’autre grande thématique de la série, vieille comme le monde, de la frontière entre le Bien et le Mal et de la facilité déconcertante avec laquelle un individu peut passer de l’une à l’autre en ayant l’impression de rester dans le droit chemin.
En tant que série policière, Line of Duty est ancrée dans la nouvelle mouvance du polar british. La tension est maintenue tout au long des six épisodes de la saison aussi bien par la mise en scène que par l’écriture réglée au millimètre de Jed Mercurio, le créateur de la série. Les rebondissements sont nombreux, jouissifs, parfois choquants, et maintiennent le sentiment d’incertitude constant et l’atmosphère délétère dans lesquels baignent la série. L’intrigue avance régulièrement grâce à de longs interrogatoires osant durer une quinzaine de minutes, magnifiés par la réalisation sachant tout à coup se faire très posée, scrutatrice de ses personnages tout en conservant sa nervosité par le biais d’un montage au cordeau. Si l’efficacité est là, le propos est virulent et s’attaque à la machine judiciaire anglaise. En nous montrant dans ses détails les plus sordides et les plus humiliants le calvaire vécu par une flic (l’excellente Keeley Hawes dans une composition pas évidente) sur qui l’équipe anti-corruption enquête, la série pose diverses interrogations auxquelles elle se gardera bien de répondre tout en dressant un réquisitoire remonté contre ses institutions. Si ses servants sont traités ainsi, qu’en sera-t-il des civils ? Et si la corruption parvenait insidieusement à pervertir le système supposé la combattre, que se passerait-t-il ? En posant cette question comme la fondation d’une hypothétique troisième saison, Line of Duty fait de la corruption et du mensonge des présences quasi-fantastiques, rôdant au détour de chaque dialogue et menaçant chaque plan, rendant le combat de ses personnages encore plus compliqué et héroïque.
Le seul problème de la série est aussi, au départ, l’une de ses qualités. Ancrée dans une tradition romanesque très prégnante, la série affiche la volonté louable de ne pas prendre le spectateur par la main, ni de lui offrir ce qu’il veut, au risque, assumé, de le perdre en route. Les développements de l’intrigue sont complexes (et parfois superflus) et la multitude d’acronymes policiers utilisés et de personnages évoqués n’arrangent rien à l’affaire. Suivre Line of Duty demande une grande attention et une implication qui se révèlent payantes une fois la destination atteinte. Le constat final n’est pas optimiste, mais il a le mérite, après nous avoir fait cogiter sur toutes les configurations possibles du pourquoi et du comment de cette histoire, d’ouvrir à la réflexion sur les conséquences personnelles, judiciaires et morales de ce qui s’est joué pendant ces six heures de grande télévision policière.