Rares sont les génériques aptes à saisir le zeitgest de la série qu’ils illustrent mais celui de Halt and Catch Fire fait partie de ce club restreint. Il suit la naissance d’un signal jusqu’à l’allumage de la LED d’une tour d’ordinateur, et reprend à son compte l’image d’Épinal de l’ampoule symbolisant une idée plus ou moins révolutionnaire. En mettant ainsi en scène les prémices d’une idée jusqu’à son exécution, ce clip de trente secondes martèle le pitch et la note d’intention de la série sur fond d’électro 80’s tonitruante. Ce signal qui fonce droit vers son objectif, c’est Joe MacMillan, commercial prêt à tout pour arriver à ses fins et mener à bien le projet qui lui permettra d’exercer sa mystérieuse vengeance contre son ancien employeur IBM, Goliath de l’industrie informatique à l’époque où se déroule la série. Autour de ce signal, les premières images du générique en révèlent quelques autres, plus ou moins à la traîne et définis mais tout aussi décidés à tracer vers la lumière. Ces signaux qui accompagnent Joe sont ceux de ses associés: Gordon, ingénieur visionnaire freiné dans ses ardeurs par des responsabilités familiales, et Cameron, punkette plus douée en programmation que toute sa promo. Ils vont aider Joe à concevoir l’objet de sa vengeance : le tout premier ordinateur portable.
Malgré le sujet à priori le moins sexy du monde (bien que The Social Network soit passé par là), Halt and Catch Fire parvient à fasciner et passionner dès son pilote en dépit de quelques maladresses (métaphores animalières balourdes supposées nous éclairer sur les personnages, développement inutilement didactique). Là où la série excelle, c’est dans sa façon de nous plonger dans un univers à la plastique envoûtante au confluent du Michael Mann circa 80’s et du Fincher actuel, privilégiant une approche moderne et naturaliste loin des clichés propres à la période. En dépeignant la Silicon Prairie comme un morceau de Texas mortifère où l’humain n’est que le maillon de gros groupes comme Texas Instruments, Halt and Catch Fire est une réussite formelle et atmosphérique.
Les arches scénaristiques sont moins brillantes mais laissent entrevoir de vraies promesses. La série lance ses personnages dans une quête ardue pour le contrôle d’une industrie, mais ils cherchent surtout à dépasser leurs propres limites. L’humanité des personnages empêche le background informatique de la série de devenir trop envahissant, et le sujet est juste assez vulgarisé pour ne pas devenir un cours de science barbant. Si tout part d’une grande idée aussi bien sur le plan social que commercial (réaliser le rêve de tout Américain et le doter d’un PC), les motivations du triumvirat sont toutes autres, beaucoup moins humanistes (ils ont beaucoup à (se) prouver) mais terriblement réalistes.
Gordon, le family man de toute évidence coincé dans un job qui l’ennuie veut prouver au monde (et à sa femme) qu’il vaut plus que ça, tandis que Cameron, sûre d’elle et de son talent va devoir affronter la réalité d’un monde qu’elle n’avait jusque là pas vraiment côtoyé. Si les trajectoires de ces personnages sont clairement définies et que leur évolution semble plutôt prévisible, celle de Joe MacMillan, incarné par un Lee Pace plus Patrick Batemanesque que jamais, est plus problématique. Nous ne savons pas grand chose de lui hormis qu’il est menteur, colérique (il a quitté IBM en causant 2 millions de dollars de dégât) et manipulateur, mais aussi très mystérieux. En imaginant un anti-héros symptomatique des séries actuelles, les créateurs se sont clairement inspirés de Don Draper et de son lourd secret.
Là où Mad Men avait une multitude d’intrigues à développer autour du mystère Draper/Whitman, Halt and Catch Fire semble vouloir concentrer ses obsessions sur MacMillan – ce qui n’est pas rédhibitoire tant le personnage intrigue toujours au tiers de la saison. La mise en place et l’exécution de son plan de domination nous tiennent en haleine, mais que restera-t-il à la série une fois que les tenants et les aboutissants de celui-ci seront révélés ? Si l’on espère franchement que l’idée développée par la série prendra forme et saura nous éclairer au terme de sa course folle, le risque demeure que ce signal approchant les 300,000 kilomètres parcourus à la seconde aille droit dans le mur… C’est sans doute ce qui rend cette nouvelle création d’AMC si excitante.