Girls sous crack. Voilà la meilleure façon de décrire Broad City, dernière née de Comedy Central (l’historique South Park, l’excellente Workaholics, etc), relatant les déboires de deux New Yorkaises, “BFF” à la ville comme à l’écran. Coincées dans des boulots qui ne les intéressent pas (l’une fait acte de présence dans une start-up qui vend des « propositions » nébuleuses, l’autre nettoie les poils pubiens, vomis et autres accidents d’une salle de fitness), embarquées dans des relations amoureuses à sens unique ou purement sexuelles, elles sont les incarnations déjantées de ce que pourrait être la femme moderne. Abbi et Ilana, actrices principales et showrunners, sont littéralement Broad City, un anti-brûlot féministe qui pourrait bien être tout aussi efficace.
Ce qui frappe dans Broad City, c’est l’aisance et la confiance totale de la série dans son style d’humour, son écriture et sa narration – ses débuts en tant que websérie de 2009 à 2011 y contribuant sûrement. Dès le premier épisode, Broad City pose parfaitement son univers, et évite les expérimentations plus ou moins heureuses autour de personnages tâtonnants qui peuvent transformer une première saisons en une succession de pilotes (on pense aux débuts laborieux de About a Boy). Ici, la série attaque au vif et propose dix épisodes aux pitchs d’une efficacité absolue, parfois dignes de comédies high concept complètement tarées comme les affectionnent Will Ferrell et consorts, nimbés de punchlines destructives, de références peu usitées et vraiment drôles et d’un humour visuel et physique, rarement exploité en télévision, achevant d’apporter de la fraîcheur au paysage comique sériel en plein renouvellement sur les « petites » chaînes (Sirens, You’re The Worst).
Visuellement moins léchée et recherchée que Girls, Broad City partage avec elle un filmage naturaliste de New York dont la grande force est de permettre l’entrée d’un humour à la limite du surréalisme. Le style se rapproche parfois d’un filmage guerilla mais la composition des plans et surtout le montage, redoutable, démontre clairement une maîtrise totale de son sujet. Même dans ce pastiche de gros clip de rap US qu’est l’intro du neuvième épisode de la saison, hyperbolant une remise de chèque sur fond de Started From The Bottom de Drake, la série fait preuve d’une énergie communicative et on est sous le joug de la somme des talents mis en œuvre à sa réalisation. Énergique et maîtrisé, des adjectifs qui s’appliquent également au casting des personnages secondaires. Limités mais géniaux (du dentiste blagueur amoureux d’Ilana à son coloc immigré clandestin/dealer en passant par le type infect qui squatte chez Abbi), ils ne sont ni des gadgets, ni les véritables stars de la série face à l’inanité des leads (Barney de How I Met Your Mother, entre autres), mais une authentique valeur ajoutée à des scripts qui peuvent ainsi étendre leur spectre humoristique.
Le duo Ilana Glazer/Abbi Jacobson est la révélation éclatante de la série. Aussi folles l’une que l’autre et de toute évidence complémentaires, elles composent des personnages très opposés dont l’amitié, nourrie par leur réelle amitié, tombe sous le sens. Malgré son étrangeté, sa folie, sa méchanceté et sa vulgarité, Broad City parvient à rester tendre et très fine dans ce qu’elle dit sur cette amitié grâce à l’alchimie du duo. Là où Girls poursuit son étude clinique de la désintégration d’un groupe d’amies, Broad City entame de la chronique d’une amitié totale dont les fêlures et les manques se développent, finement et de façon hilarante, au détour de gags ou d’échanges de vannes. Du très haut niveau au delà de la gaudriole.