Vous souvenez-vous de cette publicité pour le Loto où un couple de retraités choisissait leur prochaine destination de vacances au hasard d’un doigt pointé sur un globe terrestre ? C’est cette même communauté de destin vers un ailleurs dont on ne saisit pas immédiatement les contours que partagent les premiers spectateurs de la série Banshee et son protagoniste principal. Si, après quinze ans de réclusion criminelle, cet ancien braqueur ne sait plus vraiment où il va, au moins sait-il qui il souhaite retrouver son complice et grand amour, qui a depuis changé de nom et épousé les traits d’une housewife au dessus de tout soupçon vivant à Banshee. Lui-même, peu après des retrouvailles tendues, emprunte désormais l’identité du nouveau shérif de la ville Lucas Hood (mort avant d’avoir été présenté aux habitants et notables locaux).
C’est là tout l’enjeu narratif de l’étonnante série produite par Alan Ball (Six Feet Under et True Blood) : étirer la question du double pour au départ brouiller les pistes et égarer les spectateurs. Sommes-nous destinés à une succession de révélations qui tiennent à la fois du soap opera et du symbolisme comme dans Twin Peaks (comme les suggèrent les génériques subliminaux et divinatoires du destin des personnages de Banshee) ? Allons-nous être embarqués dans des nœuds de tensions rurales communautaristes (comme dans True Blood) ? D’où cette impression à la fin du premier épisode, après avoir fait le tour du propriétaire (Banshee, sa communauté amish, son casino native american, son maire juvénile, son bar tenu par un boxeur à la retraite, son glaçant parrain local) de ne pas bien savoir où veulent nous emmener les showrunners Jonathan Tropper et David Schickler. La réalisation nerveuse, sexy et maline (une rave party filmée dans une grange au caméscope, un braquage de supérette en plan séquence), autant que la profusion de scènes violentes et lascives ne donnent pas d’indices suffisants.
En réalité, tout le processus scénaristique et la montée en puissance de cette fiction bad ass consiste à établir une topologie de la ville par ses habitants qui transgressent allègrement les règles traditionnelles du vivre-ensemble. Hood pratique une justice coup de boule au risque que quelqu’un ne découvre à son passé criminel. Rebecca, la jeune amish, compose avec ses pulsions de Lolita fatale et sexuée. Job est le prototype de la « folle », queer urbaine, sophistiquée qui n’hésite toutefois pas à jouer du couteau sur les ploucs discourtois. Et puis il y a Kai Proctor (magistralement interprété par Ulrich Thomsen, le fils qui balance tout dans Festen), sans doute le protagoniste le plus fascinant de la série avec Hood. Amish rejeté par les siens et devenu entrepreneur local / parrain mafieux glacial et sanguinaire, Proctor incarne mieux que quiconque le passage de la société archaïque à celle de l’individu qui, marginalisé, se crée ses propres valeurs.
Il ballade sur les événements et les gens un regard un peu mort, indifférent, indéchiffrable et en complète contradiction avec sa présence élégamment stricte, emplissant l’espace d’une violence contenue. Mais tous et toutes, apatrides, exilés, mis au ban, marginaux, chacune des grandes figures de cette galerie de portrait fantastique et puissante a définitivement un compte à régler avec le droit du sol et le droit du sang. Hood, parce qu’il n’est presque qu’un élan de pure force obsessionnelle, les oblige, malgré lui, à prendre position. En un sens, il les révèle dans leur individualité. Loin de les confiner à une solitude égocentrée, ceux-ci retissent du lien social, entre parias, selon les nouvelles valeurs qu’ils se sont forgés. En aidant involontairement ces freaks magnifiques à se construire, Hood bâtit symboliquement la ville Banshee et manie la plume de l’extraordinaire auto-mythologie de la série. Progressivement prise par une succession d’événements frénétiques, Banshee est une bourgade où le cœur bat plus vite. D’ailleurs, à ce sujet, les américains ont un dicton : « home is where the heart is ». Au spectateur qui a fait de Banshee son nouveau chez-lui au terme d’un crescendo parfait et d’un final tonitruant de se sentir comme ses héros (en attendant la saison 2 en 2014) : orphelin en marge, exilé. Il a désormais toutes les clés de ce havre, autrefois de paix, aujourd’hui de liberté pour à son tour s’extraire de la norme, forger ses propres codes, son propre mythe. Devenir quelqu’un.
(Remerciements à Chloris Gondouin)
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