Ryan Murphy est un humaniste. De la création de Nip/Tuck à celle d’American Horror Story, il n’a cessé d’embrasser le point de vue des loosers, des mal-aimés et des parias. Une qualité de regard qui lui permet de revisiter l’histoire américaine sous le prisme sombre de ses persécutions les plus graves. Celles qu’infligent “les braves gens” (les mêmes moqués par Brassens ou Tim Burton) contre ceux qui suivent “une autre route qu’eux”. Après 3 saisons inégales mais édifiantes, l’idée de concentrer ce nouveau récit sur une parade de monstres dans le contexte d’une petite ville des années 50 fait naturellement figure de jubilé, de profession de foi.
En témoigne un épisode d’ouverture, réalisé par ses soins, rien moins qu’époustouflant de maîtrise dans la fluidité de son exposition. A Jupiter en Floride, Fraülein Elsa Mars, patronne d’un spectacle de monstres déclinant, convainc deux soeurs siamoises suspectées de meurtre de se joindre à sa troupe tandis qu’un mystérieux clown tueur sème la terreur dans la population. Femme à barbe, femme tronc, jumeaux hydrocéphales, nain, géante, liliputienne… sous le vernis d’une direction artistique somptueuse, il y avait à craindre le piège narratif d’un simple étalage de numéros burlesques. Murphy l’esquive en nous plongeant directement dans les problèmatiques existentielles entremêlées de son stupéfiant casting. Johnny Darling/Lobster boy est un beau gosse dont l’hypertrophie manuelle lui permet de faire le gigolo, mais qui rêve d’intégration sociale. Dot s’oppose de plus en plus à Bette, sa siamoise, à mesure qu’elles se familiarisent avec leur famille d’adoption et trouvent leurs marques au sein du spectacle. Elsa Mars (incroyable Jessica Lange, pilier de la série) masque comme elle peut, sous son arrogance bourgeoise, de profondes blessures narcissiques et de tardifs rêves de gloire. En 66 minutes de véritables montagnes russes émotionnelles, le pilote de Freak Show multiplie les références pop-culturelles efficaces (Stephen King, Black Sabbath, la musique d’Elephant man, Todd Browning évidemment) et les moments de bravoure inattendus (ici un split screen figurant les deux points de vue des siamoises, là l’irruption flippante de Twisty le clown en plein picnic amoureux, là encore une interprétation miraculeuse du Life on Mars de Bowie) pour s’achever sur une scène d’une mélancolie bouleversante. Lancement en fanfare donc, largement plébiscité par 6 millions de spectateurs (la meilleure audience jamais réalisée par AHS) qui ne pouvait que calmer le jeu dans ses épisodes suivants. Pourtant, loin de s’affadire ou de tomber dans la redite, Freak Show s’appuie sur la mécanique scénaristique bien huilée des saisons précédentes et l’émaille de nouvelles nuances. “Massacre and matinee” introduit de nouveaux périls : d’une part le couple limite de l’adulescent capricieux Dandy et de sa mère étouffante, larguée, Gloria, puis celui non moins étrange de Dell Toledo (homme fort et brutal, un rôle sur mesure pour Michael “The Shield” Chiklis) et de Desiree, l’hermaphrodite (sulfureuse Angela Bassett). “Edward Mortdrake Part 1” renoue lui avec le traditionnel épisode d’Halloween (en deux parties cette fois-ci), offre à Kathy Bates (femme à barbe usée, mère de Johnny) des séquences rien moins que poignantes, tout en continuant d’alimenter l’histoire en personnages secondaires terrifiants.
A la vue – plus embuée que d’habitude – de ces trois premiers épisodes, il semblerait que Ryan Murphy et Brad Falchuck aient décidé de rester fidèles à l’introduction mélancolique, crépusculaire qui précédait Freaks, La Monstrueuse Parade de Todd Browning. En avril dernier, Pacôme Thiellement, écrivait qu’“en perdant les freaks, c’est nous que nous avons perdus. Nous avons perdu ce que nous avions de plus beau, de plus noble, de plus juste.” La vision de ce début de saison de nous laisser espèrer, pour nous-mêmes, avec cette part d’humanité dont la science et l’idéologie médicale nous ont depuis très longtemps amputé, d’émouvantes et terribles retrouvailles.