Si cette soirée Satellite Records avait comme convenu débuté pour 20 h, seuls cinq spectateurs en auraient profité. Nous avons donc patienté en examinant une étrange scène se déroulant au sommet du Batofar : une séance photo du chanteur de Heavy Q Connection en pyjama jaune fluorescent et avec ce masque de catch brésilien rose figurant sur la pochette de leur album. Aussi extravagant que cela ait pu paraître, cet aperçu du léger déséquilibre mental de ce groupe ne fut rien à côté du concert terroriste qui suivit. Les Japonais de Heavy Q Connection sont donc arrivés sur scène vers 23 h, face à une centaine de spectateurs, pour enchaîner leur série de plans tous aussi cinglés les uns que les autres. En une heure de concert, le groupe a réussi à défigurer leur album lo-fi -sans aucun doute issu de l’école des Boredoms- pour en donner une interprétation live totalement trash, à l’aide de riffs saturés dégueulasses, pistolet laser, batterie survoltée, samples de partie de tennis en boucle et autres synthés poussés à l’extrême. Et si l’on excepte une ou deux chansons où les limites du kitsch sont largement dépassées (le groupe s’amusant à frôler la variété japonaise de karaoké), Heavy Q Connection sur scène fut une expérience fascinante, l’incarnation même de l’expression « terrorisme sonore ».
Beaucoup plus sobre et rangé en apparence, Tim London, alias Yossarian, est arrivé sur scène accompagné de deux acolytes pour nous jouer les titres de son album Elegant time. Sous de fausses apparences de Suicide revisité par Add n To (X), le groupe a finalement lui aussi montré son côté primaire en se lâchant progressivement vers l’improvisation. Entre deux morceaux de musique synthétique bruyante, Yossarian s’amuse à bercer son public à l’aide d’un jeu de xylophone reposant -rappelant les interruptions musicales inattendues si chères aux Residents dans les 70’s-, pour finalement faire repartir de plus belle rythmes violents et moogs déchaînés. Afin de mettre un point d’honneur à leur prestation, Tim London invite pour le dernier morceau un membre du public à manier un étrange générateur de bordel synthétique. Alors que le pauvre garçon s’efforce de pousser la machine au maximum, les trois membres du groupe se lancent dans une improvisation chaotique totale, à la suite de laquelle Tim London et ses deux complices partiront en nous laissant ces mots : « Maintenant, vous savez à quel point notre musique est facile à faire ».
Cette soirée Satellite Records s’est finalement achevée avec une des toutes dernières signatures du label : Lucha Libre, autre groupe japonais (avec à la basse Lee Young Sin, chanteur/guitariste/batteur/synthé de Heavy Q Connection). Mais nous avons eu droit ici à une facette de la musique expérimentale nipponne relativement différente de celle du premier groupe, car si Heavy Q sont les descendants directs des Boredoms, Lucha Libre peuvent être qualifiés comme les dignes héritiers de John Zorn -dans ses expériences de violence ultime avec Naked City ou encore Painkiller. Le groupe a donc pris la scène avec ses thèmes soulignés par des lignes de basse et de batterie tout ce qu’il y a de plus lourdes et abrutissantes, sur lesquelles sont venues rapidement se greffer improvisations épileptiques de saxo et trombone. Par-dessus ça, les claviers saturés et breakbeats industriels utilisés à contre-temps ont plus que renforcé le côté hypnotique de ce concert. Bien plus que sur leur excellent album Lö IQ pöwer, les Lucha Libre sur scène se sont poussés à bout pour nous offrir ce soir une prestation totalement bestiale. Vraiment délicieux. En espérant un concert d’une aussi bonne qualité, le second opus de ce défilé Satellite Records aura lieu le samedi 17 juillet au même endroit avec Sand, Karamasov et Bell.