A deux pas des boutiques afro du boulevard Sébastopol, le New Morning a accueilli un all-stars band de la musique angolaise, venu faire la promotion du disque Canta Angola: Paulo Flores, Simmons Massini, Mosès et José Kafala, Carlitos Vieira Dias et Carlos Burity ont imprégné la salle parisienne de la chaleur et du désespoir d’un peuple en guerre depuis 1961. Après l’engouement suscité par Cesaria Evora et Bonga, on peut s’attendre à ce que ces artistes fassent partie des prochaines grandes révélations de la musique lusophone.
Supervisée par l’omniprésent Ariel de Bigault, la soirée Canta Angola aura permis d’apprécier l’extraordinaire qualité de la musique angolaise contemporaine. Tous les artistes présents ce soir-là ont déjà une longue carrière derrière eux (cf. la série Angola publiée par Buda Musique), mais la guerre civile avait jusqu’ici avorté toute chance de les faire connaître hors de leur pays et du Portugal. La diaspora angolaise a donc goûté à ce spectacle avec un bonheur non feint. En première partie, Carlos Burity illumina les visages de ses compatriotes : les regards brillaient de nostalgie, leurs lèvres fredonnaient à l’unisson les paroles de ce vétéran du semba, évoquant pour beaucoup les fêtes des musseques (quartiers populaires) de Luanda. Personne n’aura été insensible au charme discret de Paulo Flores. « This man can rhyme the tick of time / The edge of pain, the what of sane / And comprehend the good in men, the bad in men / Can feel the hate of fight, the love of right…« . Ce poème de Johnny Cash dédié à Bob Dylan est l’exact reflet de cet ex-enfant prodige de la kizomba, l’afro-zouk angolais des années 1990. Sa prestation scénique a confirmé le changement radical de direction artistique opéré depuis Canta Angola. Délaissant la variété africaine au profit de lamentos sensuels et mélancoliques, puisant dans les racines entremêlées de la culture lusophone, le chanteur s’est réapproprié le vieux répertoire des musiques urbaines pour devenir le porte parole des opprimés : » En Angola, des milliers de personnes crient leur désespoir mais personne n’y prête attention. J’essaye d’être la voix de ceux qui n’en ont plus : quand je chante, tous le monde peut les entendre ». Exilé à Lisbonne, Paulo Flores a découvert l’extraordinaire faculté des enfants des rues angolais à exorciser leur misère par la danse et la musique. Un art de la survie qui l’a totalement bouleversé : « Ils auraient dû être notre futur mais ils sont devenus des hommes trop vite. Il est très important qu’ils aient toujours foi en l’avenir. Nous sommes plus vieux qu’eux mais nous sommes là pour les aider, leur montrer la voie. Simmons Massini a grandi dans un ghetto et il aurait pu être un de ces enfants des rues : il est la preuve que tout le monde peut devenir ce que son imagination et son talent lui inspirent ».
Simmons Massini a été la grande surprise de la soirée. Le public a été touché par l’immense complicité liant Paulo Flores au jeune guitariste, lors d’une jam latin-rock soutenu par les solos de percussions de Galiano Neto et João Ferreira, exhumant pour l’occasion les grandes heures du Carlos Santana Band. Assez effacé sur le disque Canta Angola, il a prouvé qu’il était de la trempe de Bernard Allison ou de John McLaughlin. Cet autodidacte enchaîne les soli avec une insolente délectation, aussi à l’aise dans le registre jazz-fusion que dans celui du rock ou de la bossa-nova. Peu de guitaristes savent allier la virtuosité instrumentale avec un plaisir aussi aigu de la musique. Installé à Grenoble depuis six mois, Massini devrait devenir un des guitaristes les plus prisés de l’hexagone. Face à l’exubérance de Massini, Carlos Vieira Dias affiche au contraire une timidité indéfectible mais ses mélodies en ton mineurs appellent plus à l’introspection qu’au déchaînement des sens. Influencé par Baden Powell et Luis Bonfá, ce grand artisan de la guitare semba aurait mérité une plus grande place dans le programme de la soirée. Dommage, mais l’affiche était imposante. Les frères Moisès et José Kafala nous ont offert un rare moment de bonheur acoustique, plongeant le public dans un recueillement quasi-religieux. Aussi massifs qu’Otis Redding, ces deux ex-membres des Forces armées angolaises ont interprété leur incroyable répertoire de folk angolaise, une exaltation mystique que l’on croyait ne pouvoir trouver que chez les afro-américains (les spirituals, la folk de Terry Callier, etc). La renaissance de la musique acoustique devrait leur accorder une place de choix au côté des nouvelles coqueluches de la scène folk européenne, le duo norvégien des Kings of Convenience. Une guitare, deux voix, une flûte : impossible de tricher. Ce soir là, en Angola, la guerre pour le pétrole et les diamants continuait. A Paris, les hommes de bonne volonté rêvaient à la paix.