Il faut se diriger vers le fond, un cube étroit et lumineux ; dans ce processus d’approche surgit des formes en noir et blanc, des séries qui parcourent les murs aseptiques que l’on appréhende sans trop de recul (il en faut peu) dans un mouvement circulaire que force la vitrine au centre de la pièce.
D’un côté, « les images suspendues » de R. Pelaquier dont elle nous donne la recette : tremper les photographies dans une eau où les sels d’argent se dissolvent – « les images sont à l’eau, en suspension » nous dit-elle -, filtrer ensuite ce liquide, le papier retient la « poudre ». Une forme a disparu – celle qui d’ordinaire appelle le regard, analogie visuelle de la réalité externe -, l’objet support reçoit la trace de cette disparition qui révèle à la fois la substance originelle déjà consumée (l’argent) et celle du support (les fibres filtrants). De ces substances, l’œil dessine leurs corps métamorphosés qui se rejoignent, une nouvelle forme pure et abstraite en suspens de tout langage appliqué, en devenir. Filtrer l’image c’est aussi opérer un choix dans le surplus de sa production, en soustraire ses normes construites pour en revenir à son origine substantielle, le temps de suspendre son exubérance.
De l’autre, les photographies d’un lieu à l’abandon de J. Lemerre sur lesquelles il pose une plaque de verre dont la trame graphique reprend certaines lignes de l’image ou en ajoute. A distance, apparaît une forme quadrillée qui semble ordonner les différentes pièces de ce lieu – comme un relevé archéologique de fondations – dont il ne reste que des gravats amoncelés préfigurant encore l’état en construction. Proche, notre regard affronte un certain désordre, l’image n’est plus une surface planifiée, l’épaisseur du verre impressionne une sorte de tri-dimensionnalité holographique d’où surgit paradoxalement l’absence de repères visuels. La forme générale externe se soustrait au profit de la confusion interne, la construction a définitivement disparu pour ne révéler que ses matériaux confondus. Substances résiduelles ou naissantes ? Aucune certitude, la trame du verre persiste, enveloppe ce chaos comme une nouvelle structure voulant soutenir la substance défaite pour une nouvelle forme architecturale encore songeuse, parce que l’image peut être celle du monde qu’elle capture mais sans vouloir s’y substituer.
Ici, la photographie suggère ce qu’elle a de fragile lorsqu’elle se confronte au trop plein de ses manipulations diverses et encombrantes ; elle revendique son devenir incertain, sous-tend une sorte d’humilité qu’elle reconnaît à ceux qui en usent comme d’une alchimie interne sans cesse en ébullition formelle sur la prétendue cohérence du monde externe, une poésie.
Si elle est ce dispositif par lequel le Monde peut former sa propre image – engendrée par l’action de la lumière sur une surface sensible – il ne faut pas oublier que cette action peut être un choix, qu’elle traverse des processus optiques et chimiques ; dans cet espace-temps le flux de photons a la possibilité de se métamorphoser, comme le Monde lorsqu’il est régit par celui de l’image au cours de sa diffusion et de ses transformations. Alors, la surface sensible n’est pas simplement ce condensé d’informations figurant une analogie avec le réel, elle est aussi substance dont on peut extraire une forme non définitive, non prédéterminée. Et c’est dans cet état où rien ne terrorise notre perception du Monde que peut émerger la construction de sa forme autrement signifiante. Ainsi, le propos s’apparente à celui plus radicale des frottis sanguins ou des vidéos du ciel bleu d’Assise de François Elie qui, selon Dominique Baqué, à l’instar de Thomas Bernard, émet l’idée « qu’il faut peut être détruire l’image pour qu’advienne la forme »(1).
Stéphane Léger
(1) Dominique Baqué, Résister, extrait de Montages, croisements et métissages : la photographie impure, Art Press n°186, 1993.
jusqu’au 14 fevrier 1998
Galerie J.P Lambert – 3, place du marché Sainte Catherine
Tel : 01 42 78 62 14 – Fax : 01 46 58 94 46
(ouvert du mercredi au samedi de 14h30 à 19h30)