Situer Raymond Hains en quelques mots dans l’évolution des formes de la fin du XXe siècle est aisé : il fait partie, au début des années 60, des Nouveaux Réalistes qu’il considère plus comme « une espèce de confrérie » que comme un mouvement. César, Arman, Hains, Klein, Raysse, Spoerri, Tinguely, Villeglé, et les autres se retrouvent ainsi rassemblés par le critique Pierre Restany en 1960 alors qu’il saisit en eux une même sensibilité au monde qui les entoure ; chacun captant et capturant dans son coin un morceau de réel (ferraille, détritus, fins de repas, mécanismes, etc.). Hains s’empare quant à lui de la rue et de ses affiches, comme ses « confrères » Villeglé et Rotella.
Mais là n’est qu’une infime partie du travail de l’artiste que cette rétrospective permet d’appréhender enfin dans un ensemble aussi multiple que cohérent. De la rue, Raymond Hains extrait donc des affiches mais également des palissades ainsi que ce qu’il nomme les « sculptures de trottoirs », morceaux de paysages urbains et surtout d’activités urbaines. Car la mise en évidence d’un élément du réel n’est rien si elle ne raconte pas quelque chose de la ville et de ses habitants, du passage du temps sur une multitude d’affiches qui se juxtaposent, se superposent, se déchirent, se décollent et se décolorent.
Le point de départ des œuvres de Hains n’est jamais prétentieux, il ressemble plus à un point de rencontre. Celui d’un flâneur observateur de petites choses a priori insignifiantes ; celui d’une image avec un verre cannelé au travers duquel il a suffi de regarder pour la découvrir sous une autre réalité ; celui d’une boîte d’allumette avec un procédé d’agrandissement… Et comme il aime et sait voir de l’artistique là où on a besoin qu’on nous le montre, Hains prend également un véritable plaisir poétique et ludique à s’attacher aux mots. Celui de « palissade » donne lieu par exemple à une série d’œuvres aussi gourmandes que linguistiques.
On l’aura compris, Raymond Hains se saisit de notre quotidien -chose à laquelle les créateurs nous ont habitué depuis les années 60- et le fait passer par le filtre du regard de l’artiste. La démonstration devient flagrante par la succession de pièces que proposent l’exposition : ce regard-là est quelque chose d’unique, de réjouissant et d’extrêmement excitant. Il s’empare de tout, autant que de n’importe quoi, trouve un intérêt à le questionner, à le tourmenter. Puis, geste ultime, tout puissant, il se l’approprie.