En suivant le sillon sec de l’habitude propre aux voies circulaires des discours trop usés, l’esprit s’égare parfois sur le sentier sinueux que prennent les cœurs cyniques face aux œuvres humaines. Lassé par tant de vanités pour de si petites choses, il s’amuse ainsi à dépeindre le génie de ses semblables toujours prêts à copier leur prochain en feignant une stratégie de l’innovation lors même qu’il n’y réside que singeries burlesques. Il faut bien l’avouer, depuis que l’avidité et la célébrité forment les marches glissantes de la gloire, les milieux artistiques et littéraires se disputent l’excellence de ces singeries en offrant à l’amateur de bestiaire de délicieuses caricatures. Mais sous l’image cynique sommeille encore l’animal et, au-delà de l’aboiement, c’est peut-être aux sciences qu’il faut en appeler pour enrichir cette idée que nous nous faisons des bêtes sans pour autant en accepter aisément la fraternité.
Conservons donc l’âme légère et prenons le temps d’ouvrir une brèche dans ce continuum de l’orgueil. Après avoir traversé le beau printemps du Jardin des Plantes où s’expriment en ce moment les simples « pensées » d’avril, poussons la porte de la Grande Galerie pour y voir Pas si bêtes ! 1 000 cerveaux, 1 000 mondes. Ca fait le plus grand bien d’apprendre qu’ici on nous demande tout de go de ne pas nous départir de notre cervelle pour la visite afin de la comparer aux autres organismes et d’en tirer leçon. Sans étendre la visite particulière en forme de loi universelle, il nous reste au moins ceci en mémoire -notre cerveau, notre monde : au gré d’une scénographie très pédagogique présentant des univers de plus en plus complexes sans omettre l’histoire de leur découverte, nous passons progressivement de l’image au texte, et du texte à l’expérience pour plonger dans le règne du système nerveux dont le minéral et le végétal boudent les vertus. La comparaison de notre encéphale avec celui d’un mollusque ou d’un crustacé nous replace illico à notre humble rang dans l’ordre du vivant : celui d’un vertébré. On peut appréhender alors les composants de l’intelligence et de l’action -neurones, cellules gliales et vaisseaux minuscules-, en ne cessant de nous imaginer avec vertige que ces petites choses le permettent. Découverte ensuite de ce qui, au-delà de la matière neuronale, forme les délices cérébraux dans une débauche d’énergie : la neurotransmission. On n’emploie pas ici le mot « réseau » comme d’autres font des mondanités et tissent en « copain-coquin » la trame de leur carrière sans prendre garde à la structure nourricière.
Doté des mécanismes de base du système, on peut dès lors aborder l’expression. Et entrer dans le monde limité des réflexes pour se prendre de compassion pour l’escargot. La guêpe, le grillon ou le crapaud donne ensuite une échelle pour saisir ce qu’est un système lorsqu’il passe du simple réflexe au programme. Ce n’est qu’avec le dauphin, le canari et -ô fortune !- le macaque qu’on cesse de mépriser les « singeries burlesques » pour discerner comment le vivant a suivi d’innombrables stratégies pour inventer enfin l’imitation et l’innovation -ces capacités que nous avons d’intégrer à nos gestes la force du geste de l’autre. La salle consacrée aux signes culturels laisse sur sa faim. Mais qu’à cela ne tienne ! Cette exposition -à la fois trop synthétique et pourtant longue à explorer, à l’image de son objet- n’est en fait qu’un apéritif au festin de l’intelligence au travail. Car Pas si bêtes ! propose aussi un cycle de conférences et de débats, de films documentaires, du cinéma et du théâtre. De quoi se rendre à l’évidence : les discours aussi, avant d’être usés, comme leurs producteurs humains, aiment à se rencontrer pour s’unir et former un tissu bien plus excitant et nerveux que n’importe quelle vanité soporifique et posture (ou imposture) fossilisée.