L’appel de la nouveauté et la chasse aux futurs talents se portent bien. La quantité d’expositions organisées chaque année dans la capitale et les relais plus ou moins underground permettent assurément d’y trouver son compte. Qu’en est-il de ces artistes-acteurs de la scène artistique, déjà bien rodés aux cimaises et aux expositions internationales -et pour certains fortement cotés ? Régulièrement sous les feux de l’actualité puis classés et vite archivés dans nos mémoires à tel ou tel compartiment esthétique, ils continuent leurs recherches, produisent, font des expositions… bref, forment un œuvre. L’intérêt n’est pas moindre. Un grand nom, Tapiès, et trois artistes, Lavier, Hucleux et Sherman, montrent ainsi quelques travaux récents à Paris.
Des artistes ici cités, Tapiès fait presque figure de vénérable patriarche tant il a marqué son époque et aidé toute une génération d’artistes espagnols à s’émanciper des années noires du franquisme. A 77 ans, les œuvres qu’il présente à la galerie Lelong sont comme un concentré de sa déjà longue pratique artistique. Les divers thèmes traités et leur facture sont connus : corps, têtes, animaux, figures ésotériques, en matière (peinture, sable, terre, poudre de marbre, etc.) et dans une gamme chromatique de tons telluriques. Mais toutes les œuvres sont de qualité. Une seule surprend vraiment : celle qui représente, dans un format imposant (220 x 270), l’empreinte en terre du plat d’un pied. Si le travail de Tapiès n’étonne plus aujourd’hui, il a acquis une dimension poétique assez exceptionnelle.
Autre époque, autre histoire, et presque à l’opposé de Tapiès : Lavier. Rusé comme Lavier pourrait-on dire ! Apparu dans les années 70, fortement médiatisé dans les années 80, Lavier est souvent perçu, et à raison, comme celui qui a exposé des réfrigérateurs sur des coffres-forts. Son « œuvre » est bien plus riche que ça et se renouvelle sans cesse. Ce qui en fait son intérêt. A la galerie Yvon Lambert, ses cinq grands tableaux sont des images de vitrines badigeonnées de blanc d’Espagne, ces vitrines de lieux provisoirement fermés ou de boutiques en réaménagement, qu’il a photographiées dans la rue et reportées sur toile. Et voilà de la peinture abstraite (anonyme) ! Lavier sait se jouer avec finesse et humour des catégories esthétiques, hier plutôt Duchamp, aujourd’hui Warhol. Tout son travail, dont l’articulation est assez théorique, en témoigne.
Le cas Hucleux est très intéressant. Après une sorte d’éclipse dans les années quatre-vingt, on le retrouve régulièrement exposé ces dernières années. Pendant longtemps, cet ancien retoucheur-photo a pratiqué un certain réalisme photographique dans ses dessins, notamment les portraits du sculpteur Etienne-Martin, de Jean Le Gac, mais aussi de Bacon et Beckett. A la galerie Templon, on découvre (pour ceux qui n’ont pas vu son exposition au musée d’art contemporain de Lyon en 1999) un nouvel Hucleux. Celui des Squares : une remise en question totale de son travail, un éclatement de la forme, une « déprogrammation » des connaissances, dit-il. Cette rupture est figurée par des cartographies et des paysages imaginaires ponctués de plans et de cotes peints à l’encre sur de la toile brute. Avec toujours cette même méticulosité. On s’interroge.
La bien connue photographe américaine Cindy Sherman a excellé dans ses portraits et autoportraits plus que troublants qui, depuis le début des années 80, interrogent le statut de la femme dans la société américaine. On a à l’esprit ses mises en scène, proches d’une « photo-analyse » d’elle-même, quasiment fétichistes où le macabre le dispute au sexuel organique. Chez Ghislaine Hussenot, elle revient au noir et blanc de ses débuts. Sans rupture avec son travail antérieur, il s’agit toujours de clichés de poupées à forte évocation sexuelle mais avec comme figurants, cette fois-ci, également des hommes. Sans être un commentaire de la culture gay, cette dernière fait son apparition dans son travail.