Les filles et la représentation de leur corps, toute une histoire… Elles se déguisent, se maquillent, s’exhibent ou se dérobent. Mais que montrent-elles d’elles-mêmes ? Dans les photos de Natacha Lesueur, les femmes n’ont plus de visage. Elles offrent leur corps sur lesquels on peut lire les lettres et les chiffres des tableaux d’ophtalmologiste. Elles sont devenues des écrans de chairs incisées qui exigent qu’on ajuste sa vision. Les corps glissent sur des canapés ou des matelas dans des positions tortueuses et glamour. Ces images sont plus brutes que la série de portraits aux aliments et moins alléchantes que la frise de jambes résillées ornementées de légumes, qui ont fait le succès de cette artiste, mais elles reprennent encore l’imagerie de la publicité qui se veut un peu trash pour faire mode. Leur intérêt réside toutefois dans les marques indélébiles et incompréhensibles révélées sous les vêtements. De quelle histoire du corps parlent-elles ? Elles forment comme un récit écrit avec des mots qu’on ne parviendrait ni à déchiffrer ni à interpréter. Elles proposent des énigmes sur lesquelles le regard ne parvient pas à faire le point et qui isolent ces corps dans une histoire secrète.
Le travail de Joséphine Martin à quelques pas de là, dans une nouvelle galerie du quartier Louise-Weiss, serait terme à terme le contraire du précédent. L’artiste se montre de plain-pied dans des vidéos où elle se met en scène selon le principe de répétition propre au burlesque Une fois en jupette blanche, elle exécute des mouvements de gym trop raides pour être crédibles ; une autre fois elle danse seule un slow autrichien dans un salon marron kitsch au rythme d’un « Warum bin ich allein » sans désespérance. Ninotchka est la pièce la plus réussie : Joséphine Martin y porte une robe noire, des chaussures noires, jambes nues ; elle pose sur un fond noir devant lequel elle présente tour à tour son corps, ses mains, son dos, ses jambes et son cou. Aspiré par le fond, le corps perd sa profondeur et ne dégage aucune sensualité bon marché. Les seuls gestes qui donnent au corps sa plastique en font ressortir des parties évidées de leur aspect charnel. En faisant claquer ses talons dans son uniforme, en désarticulant des mouvements qui pourraient être ceux de la danse s’ils n’étaient figés dans une expressivité, elle laisse en suspension les éléments du portrait en pied. On songe aux tableaux de Franz Hals ou aux films expressionnistes où les parties du corps sont tellement grossies qu’elles en deviennent monstrueuses. L’artiste tire aussi des prints de ses vidéos qui arrêtent les images ; la séance de gymnastique prend alors une dimension graphique grâce au ruban et au cerceau avec lesquels elle pratique ses exercices. Le corps est mis à plat une nouvelle fois, ravalé au rang de pantin par l’espace dans lequel il se meut, s’effaçant derrière sa propre gestuelle.
Entre ces deux visions de corps de femme, la première décalant l’image de mode, la seconde étonnante par son refus de l’exhibition, on voit que celle qui affronte sa représentation en face est paradoxalement celle qui se donne le moins en spectacle, car elle sait jouer d’une pudeur touchante.