Un événement en soi, un hommage qui se faisait attendre, deux ans après la publication du Shaliman et ses créatures (éd.William Blake & co., voir photo), expo Molinier au coeur de Paris.
Il y a encore de ces galeries fourre-tout, sorte de bric-à-brac magique que l’on croirait tout droit sorti de ces années perdues, où l’âme d’un lieu ne s’embrouillait pas la tête de « design » et autres « concepts » plus ou moins fumeux. Alain Oudin est de ces fous qui font de deux pièces rez-de-chaussée rue Quincampoix un capharnaüm riche et enthousiasmant. Sa galerie est doublement unique à Paris : elle accueille des oeuvres de Pierre Molinier, seul dans ce cas à notre connaissance.
Molinier, c’est d’abord un personnage. Un Bordelais né avec ce siècle, qui a vécu la plus grande partie de sa vie dans sa chambre-atelier, photographiant et peignant ses fantasmes. Son oeuvre est toute entière l’expression de sa nécessité de devenir lui-même. Il porte à son paroxysme l’ambiguité des sexes, de l’érotisme et de la présence insidieuse de la mort dans nos vies. Sa devise frappe comme un slogan nietzschéen, « être un mauvais soi-même plutôt qu’un bon un autre ». Alors il assume, et sait que de son impudeur viendra la solitude. Il sait que comme l’écrit Baudelaire dans Mon coeur mis à nu : « Plus l’homme cultive les arts, moins il bande ».
Cet être libre érige la pornographie en art et donne à penser que le reste, la culture, n’est qu’élucubration oiseuse. C’est un être de vie, conscient de l’impératif de la mort dans notre quotidien et qui trompe l’ennemi de sa lucidité joyeuse. Sa vie et son art ne font qu’un, surtout dans la deuxième partie de sa vie, après la séparation d’avec sa femme, peu après la guerre. Il s’invente un double, une poupée, et campe différentes positions érotico-morbides (jeux avec god, mises en scènes de suicides, répétitions du sien, le 3 mars 1976). Il affronte et abolit la frontière intérieure, notre prison sensorielle et sensitive. Il est un artiste troublant, sincère et absolu. Une grande leçon d’intégrité et de modernité (dans le sens de Prévert, « C’est vieux comme le monde, la modernité »).
Il faut lui rendre visite et écouter Alain Oudin en parler, acheter l’excellent magazine Jour de lettres, spécial Molinier, magnifique support à la compréhension de ce Bordelais festif (20 francs).
Galerie À l’enseigne des Oudin
58, rue Quincampoix, Paris 4ème
Tél : 01 42 71 83 65
Du mardi au samedi, 11h-13h, 15h-19h
Entrée libre