La Galerie VU vous invite jusqu’à la fin du mois de juillet à découvrir les travaux de deux de ses photographes. Avec Matthieu Pernot, nous partons à la découverte des minorités tziganes du sud de la France. Antoine d’Agata, quant à lui, nous entraîne abruptement dans le dédale flou et insaisissable de la nuit. En parcourant deux sphères peu connues et socialement dévalorisées, voici deux regards sur la réalité certes très éloignés l’un de l’autre mais qui interrogent chacun la notion de représentation, et par là, la valeur documentaire de la photo.
Il s’agit à l’origine d’un questionnement, d’une volonté de comprendre. Puis Matthieu Pernot s’est aventuré à la rencontre des communautés tziganes vivant dans les périphéries des villes d’Arles et d’Avignon. De photomatons en portraits de groupes, de scènes de la vie quotidienne à l’intérieur même des caravanes aux moments intimes qui marquent une famille -telle la naissance d’Ana-, les épreuves se succèdent et s’organisent peu à peu en un véritable témoignage de la situation sociale de cette minorité. L’apparente neutralité du format 6/6, l’usage quasi systématique de la frontalité, la sobriété des cadrages alliée à l’utilisation du noir et blanc sont autant d’atouts qui permettent au visiteur de composer sa propre relation avec Jonathan, Michael, Tchourka, Vanessa et tous les autres. Il nous présente un travail rigoureux et sensible où l’économie des prises de vue témoigne de la profonde générosité de son regard et s’attache ainsi à rendre compte de l’intense beauté de ces femmes et de ces hommes. La discrète élégance de son approche relance alors de façon majestueuse l’engagement social de l’acte photographique, loin, bien loin du sensationnalisme qui caractérise trop souvent le photojournalisme aujourd’hui.
Le travail d’Antoine d’Agata part lui aussi d’une recherche autobiographique. Mais la rencontre ici n’aboutit pas : les incessantes dérives nocturnes expriment une quête permanente de soi. En nous imposant les troublantes réalités d’un monde sans cesse dissimulé, volontairement éclipsé, il nous plonge au cœur même des univers limites de la nuit. Visages et corps des bordels mexicains vacillent au gré des lumières. Des scènes de chambre aux portraits émaciés à force de drogues, l’image est sans cesse brouillée par le mouvement, traduisant ainsi les incertitudes qui hantent le photographe. Pris sur le vif, ces instantanés rappellent immanquablement Les Américains de Robert Franck. Mais loin de nous transformer en voyeurs férus de sordide, d’Agata nous propose un voyage au cœur même de notre conscience, et nous amène à nous interroger sur notre propre rapport au monde. La multiplicité des formats contribue alors à notre sensation de mal-être : nous n’arrivons jamais à saisir de façon synthétique cet éparpillement d’images déliquescentes qu’aucun titre ne nous permet d’identifier. L’alternance de la couleur et du noir et blanc vient encore renforcer la viscosité de ce monde fantasmatique et lugubre.
On ne ressort pas indemne de telles images. Le réel dérange, ce réel qui pourtant nous semblait si proche et si accessible il y a un instant encore. Les œuvres de Matthieu Pernot et d’Antoine d’Agata allient chacune la force poignante du documentaire et la beauté fascinante de la photo d’art. Elles s’inscrivent alors dans la recherche d’un point de convergence entre représentation du réel, ce réel qu’elles donnent à voir, et Histoire. Quant à nous, nous remontons à la lumière du jour l’œil neuf, prêts à saisir le mouvement de la vie.