On l’attendait au tournant, l’altier Muti, qui osait, en ouverture de la nouvelle saison de son prestigieux théâtre, braver les ombres tutélaires de Sabata et Abbado, et effacer, l’espace d’une soirée, le souvenir obsédant (et encombrant) de Callas, Lady du siècle, ou du couple infernal Cappuccilli/Verrett, transcendé par la mise en scène de Strehler… Dira-t-on que le défi fut pleinement relevé ? Par le maestro milanais, assurément, qui, par sa lecture très Verdi dernière époque -plus proche de Don Carlos ou Otello que des Lombardi, par exemple-, nous fit entendre Macbeth dans un luxe de détails et de raffinement inouï. Intelligence supérieure du texte, noirceur implacable tout juste mâtinée d’élans patriotiques étrangement fatalistes (a-t-on connu « O figli miei… » plus résigné ?)… la direction extrêmement dramatique de Riccardo Muti était en parfaite osmose avec la vision suffocante de Graham Vick, dont l’énorme cube pivotant au centre de la scène de la Scala suffit à précipiter ces royals sanguinaires dans leur entreprise mortifère et funeste. Orchestre somptueux à tous les pupitres, violente et pertinente recréation des ballets du troisième acte, lumières et costumes stylisés à l’extrême… cette production avait tout pour être plus que parfaite, si un cast ad hoc, mais hélas…
Car Bruson, tout d’abord. Autorité scénique incomparable, comme toujours, imposant physiquement et d’emblée son personnage de roi morbide et sous influence, mais la voix, elle, ne suit plus, et depuis longtemps déjà (on avait pu le constater, ici même, en 94, lors d’un Rigoletto par ailleurs magnifique). La ligne de chant est défaillante, le vibrato éprouvant à supporter (« Pietà… ») et les (beaux) restes de l’immense Macbeth qu’il fut ne suffisent pas expliquer comment Muti puisse se priver, dans pareille entreprise, d’un « héros » plus vocalement idoine -les prétendants ne manquent pas !
Guleghina, elle, n’entrera pas au panthéon des Lady Macbeth du siècle -qui se comptent d’ailleurs aisément sur les doigts d’une main ! La soprano en possède pourtant toutes les notes, l’aplomb certain et le port souverain, mais sûrement pas la voix rauque, sombre et sourde qu’aurait souhaité entendre Verdi -mais qui oserait chanter ainsi aujourd’hui, en ces temps de chant si policé ? Faut-il ajouter que ce rôle-ci est -Callas hors compét’- plutôt celui d’une mezzo : qu’y ferait, par exemple, une Meier, sans doute plus Lady qu’Eboli ?
Tiercé masculin gagnant, en revanche, avec Colombara, Sartori et… Alagna. Le premier Macduff du ténor français était, si l’on peut dire, attendu au coin du bois : il fut plus que convaincant, déployant avec Muti, dans le fameux « O figli miei », des phrasés longs inaccoutumés, et redonnant, du coup, un sens nouveau à la lettre de la partition. On n’en attend qu’avec plus de curiosité son récital Verdi pour EMI, avec Abbado (Forza, Trovatore, Otello…).
En conclusion, le Macbeth d’un Muti immense verdien, immense chef tout court, et qui confirma, s’il en était besoin, que la Scala a toujours bien réussi à ce drame shakespearien transcendé par le génie transalpin…