Quand il semble que du réel il ne reste plus rien à montrer, quand vient l’impression que tous les voyages ont été accomplis mais que le désir d’images demeure, que faire ? A ce découragement qui, un jour ou l’autre, guette tout photographe, Luigi Ghirri répond, en 1973, en photographiant des détails de pages d’atlas.
La représentation du monde s’étant banalisée, Ghirri s’empare avec les 32 images de la série Atlante, du code représentatif le plus « objectif », le plus universel : la cartographie. Par ce geste, il s’échappe de l’histoire de la photographie pour s’inscrire dans une lignée d’artistes qui, chacun suivant ses propres obsessions, interroge cette représentation trop stable : Borgès imaginait un pays recouvert d’une carte à l’échelle 1. Celle-ci faisant écran au soleil, la nature dépérissait et la réalité ne correspondait jamais à sa représentation. Plus récemment, Wim Delvoye a créé des pays, des continents et des mers qui n’existent pas. Luigi Ghirri, lui, propose un voyage immobile et crée une géographie poétique. Le mot « Oceano » se détache sur fond bleu : ces lettres, cette couleur sont la mer, toutes les mers. Quelques « icônes » de palmier en noir sur du gris sable signifient l’oasis ; des noms et des orthogonales marquent la ville. Un simple trait vertical que croise un autre horizontal dénote les conventions de méridiens et de latitude : la tentation de l’abstraction n’est pas loin. Ne se contentant pas d’isoler des fragments d’un code, comme la photographie épingle des bribes du réel, Ghirri donne à voir l’artificialité de son sujet : les pages de l’atlas photographié n’étant pas planes, les coins de l’image sombrent dans le flou tandis que la trame de l’image imprimée devient matière. Cette impureté de l’image (ni réel, ni science, mais sampling) donne évidemment toute sa modernité au travail de Ghirri.
Loin du constat d’échec, la série Atlante, repli temporaire du monde, crée un pont entre « fine art photography » et art contemporain : la croyance naïve dans la « vérité » de l’image photographique est dissoute. Pour mieux ensuite, revenir au réel, Ghirri doit faire un détour par le concept. Atlante donne donc une clé essentielle à la compréhension du travail de paysagiste de Ghirri (travail qu’il faudrait rapprocher de celui des conceptuels allemands, les Becher et surtout leurs disciples). La rétrospective Ghirri que prépare le Patrimoine photographique pour début avril en sera l’occasion.