La beauté n’est pas toujours lisse, séductrice et apaisante. Celle que renvoient les oeuvres étranges de Léna Vandrey est énigmatique, sans fard, beauté à la fois tendre et mélancolique. La rétrospective de cette artiste rarement présentée à Paris offre la découverte d’un univers singulier et intense en prise avec la dimension mythologique de la vie.
Sorcière sourcière d’une tribu perdue, elle opère le mélange de substances brutes, souvent naturelles (encaustique, coquillages, tissus…) qui prennent relief sur la toile de jute. Depuis les Amantes imputrescibles (1967) jusqu’aux Hermaphrodites (2000), Léna Vandrey, féministe revendiquée, explore en particulier l’identité des femmes. Une féminité libre et plurielle où la fragilité des Anges, créatures androgynes, côtoie la vitalité des viragos guerrières. Ses portraits de déesses sont dédiés à des figures mythologiques, aux noms aussi symboliques que Cypris Calamité.
Ses anges à la figure lunaire, aux yeux immenses, arborent dans leur chute une candeur où sourd la tristesse. Une autre mélancolie transparaît dans Les Boîtes de Pandore, coffrets à secrets, casiers d’une collectionneuse de l’infime, de fétiches minuscules, de porte-bonheur dérisoires. Bouts de liège, verre coloré, fils en pelote sont les trésors de ce musée minimal et touchant de nostalgie. Une ode au temps, au presque rien teintée de bleu ultramarin. Et un hommage au don magique de l’enfance pour transformer les choses en d’autres, pour faire un joyau d’un vieux clou. La série sur tôle rouillée et châssis baptisée Auschwitz, silhouettes en équilibre comme des oiseaux blessés, met en évidence la gravité palpable du travail de Léna Vandrey. Les chaos de l’Histoire ont fait des remous dans l’existence de la petite fille allemande née en Pologne qui garde un souvenir vif du régime fasciste et de la guerre.
Léna Vandrey est aussi écrivain et ses textes poétiques, parfois hermétiques qui accueillent le visiteur sont autant de manifestes de sa démarche de « chercheresse ». Ailleurs, ses mots s’incrustent, formules divinatoires, moins clefs que supplément de mystère, dans ses tableaux. Les images conjuguées à une émotion dense, qu’elle soit révolte ou inquiétude, donnent le sentiment d’une rencontre avec le paysage intérieure d’une artiste sensible et « sauvage », étrangère à un art mondain.
L’art brut émane « de personnes étrangères aux milieux spécialisés et élaborés à l’abri de toute influence » disait Jean Dubuffet. Assurément Léna Vandrey, qui travaille à l’écoute de ses voix intérieures, cloîtrée dans sa ferme provençale qu’elle a transformée en forteresse, est de ces artisans de la profondeur qui puisent en l’intime. Dans son livre Chapitres, l’artiste se dédouble pour mieux s’interroger et tente de se définir : « Quel est ton véritable métier ? Aucun. Je suis métaphoriste, non inscrite à la Chambre des métiers. »