On n’attendait plus que lui. Après le Brahms ardent de Repin, après un Perlman olympien, l’enfant prodige de Novosibirsk était annoncé dans un répertoire qu’on aimerait le voir plus souvent aborder au disque, la musique de chambre. D’autant que son dernier passage à Paris, au printemps dernier (et dans ce concerto que son ancien condisciple Repin fit donc splendidement résonner, il y a trois semaines), avait laissé un peu perplexe. Et d’autant plus, aussi, qu’après la Kreutzer rayonnante de Itzhak Perlman, on avait hâte d’entendre ce qu’en ferait, à son tour, le jeune Russe.
Il fallut, l’autre soir, patienter le temps d’une « petite » sonate de Mozart, la mi mineur -donnée le cœur sur la main, comme le violoniste sait si bien le faire, alla slave -pour savoir donc ce que Beethoven par Vengerov veut dire. Tout (trop ?) fut dit dès le premier mouvement, un presto exécuté à une cadence infernale, ravageur, diabolique, balayant tout (et quelques notes, peut-être) sur son passage, une Kreutzer comme on n’avait jamais entendue, mais sur laquelle l’ombre de Heifetz planait irrésistiblement. L’anti-Perlman, aussi, qui avait donné de cette sonate, quinze jours auparavant, une vision souveraine et apaisée. Au piano, Igor Uryash suit tant qu’il peut -assez bien et assez sensiblement, au demeurant (on l’aura compris, l’attention se porte ailleurs…). Public déchaîné, attendant à peine la fin du mouvement pour manifester son enthousiasme -si, si, c’était bien à Pleyel, c’était bien un récital dit « classique », mais il faut dire que le petit Maxim semble avoir un fan-club bien achalandé !
La suite, aussi sensible, aussi flamboyante fut-elle, ne pouvait apparaître qu’en deçà. Pourtant, quelle oeuvre admirable que cette troisième sonate de Brahms, partition de la maturité, où toute la palette des sentiments est déployée avec la tranquillité que procurent les années. Vengerov y fut, à sa grande manière (plutôt lyrique et extérieur), prodigieux, tout comme dans ces trois Danses hongroises (7, 2 et 5), rendues justement à toute leur dimension folklorique. Une Méditation de Thaïs hyper-sensible en bis, il n’y en aura pas d’autre, pour cause d’archet hors-service (!)… Vengerov finit de mettre à ses pieds une salle conquise d’avance et confirme que le siècle prochain est tout à lui.