Les travaux d’Henri Michaux réalisés sur un fond sombre sont une catastrophe : le visage s’y reflète immanquablement. Ne cherchez pas là un sens métaphysique, il s’agit simplement d’un problème technique dont souffre l’exposition de la Bibliothèque Nationale : les œuvres sont présentées sous verre et celui-ci est réflexif comme un miroir. Evidemment, cela pourrait passer pour un détail face à la grande force des dessins présentés, pourtant, on est à chaque fois gêné par ce manque de lisibilité. A part ça, tout est impeccable : l’imposant décor de la galerie Mazarine se retrouve masqué par de grands panneaux d’un blanc crème sur lesquels sont peints des rectangles plus clairs délimitant la zone où sont accrochées les œuvres. A l’entrée de chaque section s’inscrivent, avec des jeux de typographie, les différents thèmes des découpages de l’exposition, accompagnés de textes d’Henri Michaux. C’est sobre, ça aurait même quelque chose de « design ».
La traversée de la création du peintre-poète et du poète-peintre se déroule chronologiquement, en huit temps et en mettant en correspondance l’œuvre écrite et celle peinte. Gouache, aquarelle, encre, pastel, plus rarement l’huile, les compositions d’Henri Michaux sont des abstractions qui flirtent avec la figuration. Là, un visage apparaît, ou un sexe, ici, des silhouettes, humaines, animales. Les taches d’encre de Chine, dessins célèbres de Michaux (voir photo), semblent une évolution dans l’espace, comme un déplacement, une chorégraphie. On s’en approche et la tache reprend sa place.
A partir de 1956, commencent les expériences sous mescaline. Michaux en consomme sous la surveillance de scientifiques afin d’aller jusqu’au bout de son expérimentation qui le pose comme observé et comme observateur. Sur le papier, le trait devient plus rapide, plus agité, l’œil du « regardeur » ressent, lui-même, une certaine frénésie. Ces œuvres, résultats d’expériences limites, s’inscrivent très fortement dans les esprits. On a dépassé l’humain pour entrer dans un inconnu forcément effrayant et attirant.