Princière, la Bibliothèque nationale de France se fend d’une rétrospective décalée, évocatrice et pointue de l’art éphémère qu’est le graphisme d’affiche. Objet de respect de la part du maquettiste, objet anonyme dans la rue, cet art promotionnel supporte-t- il le passage du temps ?
Premier constat. La BnF a décidé d’emblée d’axer son exposition sur les collaborations longues entre un graphiste et un centre culturel. Si cette idée présente l’intérêt de mieux pouvoir visualiser les périodes, ou modes graphiques, elle cache aussi une certaine frilosité. Pourquoi, dès lors que l’on parle de graphisme au sein d’une expo, lui donner une assise culturelle afin de pouvoir prononcer des mots comme « artistique » ou « œuvre » ?
Une affiche fonctionne ou ne fonctionne pas, indépendamment du sujet qu’elle défend. Elle inquiète, étonne, laisse froid ou énerve…. L’expo elle-même consiste en deux grandes salles miroir, dont les réalisations sont rassemblées par affinité. On peut soit y passer rapidement et ne s’arrêter que lorsque l’affiche fonctionne réellement -c’est à dire lorsqu’elle nous appelle- ou soit plutôt prendre son temps pour décrypter les finasseries des langages plastiques employés.
Des six graphistes (ou groupes de graphistes) exposés, on s’attardera surtout sur le travail subtil et dérangeant des Graphistes Associés. C’est avec eux que l’éternelle dichotomie forme/fond devient plus flagrante. Transfuges du collectif Grapus, ils n’hésitent pas a produire des affiches au tampon (Re-voir) tirées a 35 exemplaires, à utiliser l’écriture manuscrite ou encore le fax comme moyens typographiques. Une technique héritée du groupe sus-cité. Ici, la relation entre le graphiste et le client produit une œuvre originale, pas toujours adaptée à un support de communication, mais unique, insolente, pointant un instant, un mouvement, une exposition ou une pièce de théâtre de façon nouvelle. L’affiche, devenue une image à part entière, change de registre et perd un peu de son intégrité, soit la diffusion d’un message au quidam de la rue. Mais elle gagne en force grâce à l’impact, pas toujours immédiat, mais réfléchi, des visuels produits.
Dans le même ordre d’idées on remarquera aussi au loin le fameux roi-jambon de Michal Batory (la tragédie du roi Christophe). Parfait exemple d’une collaboration réussie entre le texte (la typographie) et l’image, il démontre avec brio que l’équilibre discret et consensuel, développé dans la plupart des réalisations graphiques, entre le message et le visuel, peut être bouleversé au profit du sens général. Et créer ainsi un nouveau symbolisme. Sans le côté bouffon apporté au dessin, cette affiche transpirait au début un côté « cannibale ». L’intervention brillamment maladroite du dessin de la couronne lui redonne pour un temps une aura rassurante.
La collaboration ne se passe cependant pas toujours aussi bien, et si chaque groupe ou graphiste présenté possède des qualités indéniables, la plupart des affiches exposées n’ont pourtant pas résistées aux modes. Taxer d’emblée une image comme étant très 90’s n’est pas très flatteur pour le graphiste, ni pour l’intelligence du visiteur… On croit capter l’air du temps mais deux ans après, l’air semble vicié et tout juste bon a enfermé dans des boites -souvenir en plastique. On les sort de temps en temps avec amusement de leur placard, mais la nostalgie n’est pas suffisante pour nous garder captif longtemps. Dommage alors de ne pas avoir tablé plus large, comme à l’exposition du musée de la Poste, il y a 4 mois : Lettres et correspondances. Elle offrait effectivement un plus vaste panel de support artistique (timbres, lettres, affiches, cartes, plaquettes, identité visuelle etc…) et était vraiment pensée en fonction de son contenu, afin de guider le regard, grâce à une scénographie de l’ensemble.
Qu’importe, les manifestations de ce genre sont trop rares pour bouder longtemps et on (re)découvre avec plaisir les œuvres de personnes sensibles au mouvement, au texte et à l’image, remontant au principe générique du graphisme : gérer les blancs et les taches dans un espace donné, afin de véhiculer un sens.
Bibliothèque nationale de France – Galerie Colbert
du 10 septembre au 8 novembre 97