Quatre salles et une cinquantaine d’œuvres, travaillées par une même question : la représentation de l’espace et du paysage dans les différents états de l’œuvre de David Hockney, de ses débuts, dans les années 60 à son travail le plus récent. Au risque de s’y perdre. Pour qui ne connaît pas l’extrême diversité de l’œuvre d’Hockney, cette exposition peut laisser perplexe. Y voit-on vraiment l’œuvre d’un seul et même peintre (dans ce cas sacrément schizophrène) ou la juxtaposition de plusieurs œuvres ? Il faudra pourtant choisir la première option. Tout cela est du 100% Hockney, mais sous ses divers avatars. Car Hockney a eu plusieurs vies d’artiste. Impulsif, travaillé par la question de la modernité à ses débuts, (il est au Royal College of Art de Londres en 1957), il choisit une figuration qui affirme sa planéité (donc pas d’illusion tridimensionnelle) en empruntant, notamment à l’art égyptien, ses figures hiératiques et ses raccourcis visuels faussement naïfs. Cette période expérimentale (disons Hockney 1) est résumée dans une salle.
Suit, dans une autre salle, Hockney 2 : peintre mi-californien (années 60-70) mi-européen (avec un séjour à Paris, notamment), absorbé par un naturalisme si léché qu’il n’est pas loin de l’hyperréalisme. Le retour sur cette période bien particulière d’Hockney vaut pour le plaisir de découvrir en direct, The bigger Splash, la plus fameuse de ses piscines, ou encore le double portrait de Mr and Mrs Clark and Percy, une toile au naturalisme étrange proche d’un Balthus. D’ailleurs, durant son séjour parisien, Hockney avait loué l’ancien atelier de Balthus -ceci explique peut-être cela ?
Viennent ensuite deux grandes salles -Hockney 3- consacrées au travail d’Hockney depuis les années 80 ; dont on peut dire qu’il est traversé par l’obsession de se débarrasser d’une convention : la perspective dite classique, celle de la camera oscura issue de la Renaissance.
Pourquoi ? Parce que, pense Hockney, elle réduit notre perception du monde, nous obligeant à le considérer sous un seul angle. Et pour quoi d’autre ? Un regard polymorphe, multiple, envisageant la complexité du monde. Ainsi, quand Hockney peint une chaise (d’après Van Gogh ou Gauguin), il peint un objet dont il représente en même temps le devant et les deux côtés ; de sorte qu’il permet au regard du spectateur de tourner autour de cet objet. Cette révolution du regard se déploie dans des toiles qui n’ont plus rien à voir avec ce qui précédait : grands formats (plus c’est grand, plus le spectateur peut être absorbé), couleurs très vives, presque criardes, matière épaisse, « perspective inverse » qui projette le point de fuite de la composition derrière le spectateur. Séduit par la couleur, l’œil se promène avec plaisir dans Large Interior, Los Angeles, une représentation façon cubisme du salon d’Hockney, ou bien A walk around the Hotel Courtyard, Acaltan. Enfin, œuvres phares de cette rétrospective thématique, les très récents A bigger Grand Canyon, deux toiles gigantesques offrant une vision en cinémascope du Grand Canyon. « J’ai l’impression d’entrer dans ma période de maturité », confesse David Hockney.
Une maturité dopée aux couleurs, boustée au gigantisme. Sûrement, Hockney, comme un Warhol, crée les nouvelles icônes de l’Amérique.