Ca serait rigolo de réaliser une petite étude sociologique sur les publics de concerts pop et rock. On en tirerait certainement de précieux renseignements sur la capacité d’un groupe à percer, à confirmer son succès ou à s’effondrer. Prenez les américaines de Sleater-Kinney, par exemple. C’est pas très connu, un seul de leurs trois albums – remarqué – a été distribué en France. Malgré leur talent indéniable, elles auront du mal à se débarrasser d’une image de punkettes révoltées (gentiment révoltées, soyons lucides) qui s’égarent du côté de Lesbos : il n’y avait que des filles (?) ou presque à leur concert et c’est bien dommage. Après tout, la chanteuse sait très bien crier, l’absence de basse n’est pas gênante, elles ont une pêche impressionnante, il n’y a aucun temps mort. Impec… A l’opposé de ce public clairsemé et lesbien, vous avez celui de Supergrass, bien plus « classique », adolescent, gentillet et boutonneux. Un public qui sautille sur les mélodies lourdingues du trio de nabots qui ne retrouvent leur verve que quand ils jouent des morceaux du premier album, quand même bien plus enjoué que le second. Mais soyons indulgents avec les ados boutonneux : ils n’ont pas si mauvais goût, puisqu’ils n’ont pas été insensibles au charme – physique et vocal – d’Andrew Montgomery, le chanteur de Geneva. Plus on les voit, plus ils progressent, semble-t-il. Leurs sets sont irréprochables et pourtant cette voix haut perchée pourrait facilement se casser la gueule : mais non, elle reste là-haut, elle apprécie les sommets et elle n’en redescend plus.
La dernière enquête sociologique sur les publics serait la plus instructive, si vous voulez en savoir plus sur les pros de la musique, journalistes et responsables de labels. Il suffit, pour avoir un aperçu de cette étrange population, de réussir à vous faire inviter pour un concert promo sur invitation. Il y a quelques jours, c’était par exemple Lauren Hoffman, l’Américaine qui exploite les filons folk, rock et tourments à la PJ Harvey. Mais elle les exploite bien, malgré un parterre amorphe. Sachez en effet que les professionnels de la musique sont par nature amorphes et blasés. Leurs enthousiasmes sont intérieurs, exclusivement. Ca a dû être pénible pour ce groupe talentueux et excentrique (le percussionniste troque parfois sa batterie pour un grattoir en fer sur lequel il frotte une brosse pour chiens : original et inédit…). Ils méritaient une salle un peu plus dynamique et attentive. A se demander si les auditeurs ont remarqué qu’ils avaient joué deux fois le même morceau, le tube Rock Star, d’abord version folk à la guitare acoustique, puis version noisy aux guitares saturées. Comme quoi cette jeune fille sait tout faire.
Stéphane Buron