Cinq hommes et deux femmes montent du premier rang de la salle sur scène, se partagent l’ensemble de l’espace, isolés les uns des autres. Concentrés, immobiles. Des déplacements naissent soudains, déclenchent d’autres mouvements. Les contacts engendrés sont brusques. Empoignades violentes, heurts. Tandis que la danse s’installe, un enregistrement diffuse les premiers vers de la pièce… Bérénice, revisitée par le couple Fisbach / Montet. Une traversée de deux heures au sein des mots, portés et transportés par les corps. Un grand texte tragique dont la souplesse, le rythme et la musicalité nous parviennent « neufs », grâce à la grande économie des déplacements et la modernité des attitudes des interprètes. Tout d’ailleurs est d’une apparente simplicité : de la scénographie d’Emmanuel Clolus (qui utilise des matériaux en bois, zinc et verre) à la lumière de Daniel Lévy, une lumière soignée, qui ne mord ni à l’illustration ni à l’effet.
Corps (à l’écoute) et paroles (sans déclamation) se frôlent, s’apprivoisent et s’épousent. Cette fine complicité maintient concentré notre regard au sein du drame qui se prépare. Dans cette tragédie où il ne se passe rien, les personnages s’affrontent. Titus est résolu : on ne peut à la fois être empereur et amoureux d’une reine étrangère. Bérénice nourrit une espérance obstinée, et le cœur d’Antiochus balance entre élan de joie et profond désespoir. Chacun, jusqu’au bout, est isolé dans sa condition d’homme. L’être profond est sacrifié au personnage social.
Si les paroles s’échangent, les corps, eux, se tiennent à l’écart les uns des autres. La mise en scène les dispose dos-à-dos ou de part et d’autre d’une vitre. Cette distance grossit le drame de scène en scène, jusqu’à la rencontre (et la séparation) finale de Titus et de Bérénice qui se déroule dans le noir, traversé d’un faisceau lumineux rouge.
Le tandem Fisbach / Montet est essentiellement celui de deux écritures. Celle du théâtre et de la danse. Une rencontre maintes fois expérimentée, mais dont l’originalité tient, en l’occurrence ici, dans la réappropriation du corps à l’intérieur du théâtre. Alors chorégraphiée et / ou mise en scène, Bérénice se donne à voir et à entendre, dans toute sa présence.