Le musée d’Orsay se met Aux couleurs de la mer avec la complicité de l’émission Thalassa qui, depuis vingt-quatre ans, connaît bien les ombres et les nuances, les colères, les aventures humaines et les histoires intimes d’une immensité bleue aux noms changeants. A l’orée d’un nouveau siècle, qui lui-même tourne solennellement la page d’un millénaire, l’exposition marque le millième épisode d’un rendez-vous hebdomadaire dédié au monde de la mer. Les recherches picturales ont souvent trouvé leur souffle au bord de l’eau et l’occasion était belle d’unir l’art et la nature en une célébration de beautés iodées, à travers l’aquarelle, le pastel, la peinture et la photographie. C’est ainsi que Seurat transfigure à petites touches pointillistes l’avant-port de Port-en-Bessin en Bretagne, tandis que Charles Cottet traduit la rigueur du monde marin dans des toiles de composition claire et classique, directement inspirées par le réalisme de Courbet, comme en témoigne Rayons du soir. Port de Camaret en 1892. A Pont-Aven, Emile Bernard travaille avec Gauguin sur une nouvelle approche picturale, synthétique et simplifiée, et s’y entraîne au cloisonnisme par l’application de couleurs arbitraires aux formes cernées. Le fauvisme n’est plus si loin et s’annonce déjà, sous la touche mouvementée de Henri-Edmond Cross, dans Après-midi à Pardigon, en 1907.
Une étonnante harmonie émane de ces quelques salles, qui présentent des œuvres peu nombreuses mais judicieusement choisies. On redoutait une espèce de fourre-tout pléthorique, amalgamé dans un propos pseudo-scientifique. L’exposition, thématique, sans prétention ni effet de strass évite cet écueil : le visiteur glisse d’une salle à une autre, avec un plaisir égal, la curiosité toujours en éveil. Le propos est clair, qui met en valeur le travail de Boudin, les recherches photographiques de Le Gray ou les pastels inattendus de Degas. Avec quelques innovations en plus : outre l’alcôve tendue de toile, où l’on découvre l’histoire de la couleur bleue dans un reportage réalisé par l’équipe de Thalassa, le multimédia entre à Orsay dans une salle pas comme les autres : sept caméras disposées à Trouville, Etretat, Port-en-Bessin, Belle-Ile, l’Estaque, Camaret et Saint-Tropez retransmettent en direct et par liaison téléphonique les paysages affectionnés par les peintres de cette seconde moitié du XIXe siècle : le soleil inonde l’Estaque de Cézanne, et au même moment, le vent du Nord sèche par bourrasques la falaise d’Etretat. Tout change d’une heure à l’autre, d’une côte à l’autre. Les enfants ne sont pas les seuls à ouvrir des yeux ronds.