Un spectacle radical et stupéfiant comme un entartage ! C’est l’effet violemment tarte à la crème que produit la pièce du metteur en scène et plasticien Jan Fabre As long as the world needs a warrior’s soul (« Je reviendrai aussi longtemps que le monde aura besoin d’une âme guerrière »), dont la beauté sauvage, les excès en tous genres nous prennent à la gorge. Jan Fabre a l’art et la manière de rendre le théâtre à sa cruauté primitive. Qui l’aime, le suive.
Rien ne laisse pourtant prévoir au départ le rituel orgiaque qui va dévaster la scène plus de deux heures. Dans une semi-obscurité mystérieuse, des personnages nus se glissent au milieu de poupées Barbies de toutes les tailles. On se croirait dans un atelier de jouets anciens, étrange comme un rêve. Quelques chariots de ketchup, crème fraîche, chantilly et des douzaines d’œufs plus tard, le plateau ressemble à une décharge tartinée de beurre et dérapante au point que les acteurs, dégoulinants de chocolat, doivent s’accrocher des quatre fers pour ne pas chuter. Servi avec un gros rock par quatre musiciens amateurs, cet attentat à la propreté joue avec les limites de l’extrême sans pour autant céder au vertige de l’insupportable. Tout le talent immense de Fabre est là aussi : nous faire fantasmer sur l’horreur, suggérer des gouffres que nous sommes seuls à entrevoir.
A partir d’un texte de Dario Fo, Moi, Ulrike, je crie, conçu autour des journaux intimes de la journaliste allemande Ulrike Meinhof, membre de la Fraction armée rouge, morte en prison dans des conditions mystérieuses, Jan Fabre dresse le poing contre toutes les sociétés aseptisées du monde et revendique le droit à la singularité, à l’anormalité. Mieux vaut vivre sale et barbouillé que propre et sous cellophane.