Michel Strauss savait-il que Kodaly avait appris le violoncelle en autodidacte ? Certainement. En effet, pour jouer la Sonate (1915), il faut réussir à transformer l’instrument en harpe, cymbalum, cornemuse, utilisant ainsi toutes les ressources du violoncelle, tous les effets de timbres possibles et inimaginables. Strauss y parvient à merveille. Parfois on n’en croit pas ses oreilles. Mais, et c’est une des caractéristiques de l’art de Kodaly, la rigueur d’écriture, la virtuosité doivent s’effacer pour faire entendre une musique affranchie de tous les codes classiques (ils sont pourtant bien là à l’origine), une musique libérée, au plus fort de son terme. L’idéal, en définitive, est de faire croire que c’est un débutant qui explore, qui découvre l’instrument et la musique. Tout doit se passer, entre linéarité et polyphonie, comme si c’était de l’improvisation.
Car Kodaly cherche avant tout à retrouver une fraîcheur musicale ; au langage déjà existant il mêle savamment des thèmes de musique traditionnelle du folklore magyar. Il entreprit ce travail avec son compatriote Bela Bartok, rencontré dans la classe de composition de l’Académie de Budapest en 1900. Ensemble, ils parcoururent, armés d’un phonographe à cylindre, les campagnes hongroises afin d’enregistrer, de noter des mélodies populaires. Bartok alla peut-être plus loin dans le renouvellement du langage harmonique. Kodaly fut peut-être moins révolutionnaire. Toujours est-il que ces œuvres, qui appartiennent à la période de première maturité du compositeur (dite de musique de chambre), sont des pièces majeures (surtout la Sonate, le Duo -1914- étant une espèce de préparation à la Sonate) du 20e siècle. C’est peu de dire que pour le violoncelle cela fut essentiel. Le répertoire de ce siècle pour cet instrument en eut la face changée sinon !
Michel Strauss, professeur reconnu, rompu au répertoire du 20e, à la musique contemporaine, ancien élève de Maurice Gendron, réussit parfaitement son coup dans la Sonate. Les profondes respirations qui émanent de son jeu, le respect de la partition quant aux effets de timbres donnent une ampleur, une majesté sonore inhabituelle. Ainsi, certains s’enfoncent dans une polyphonie déplacée, comme s’il jouait une Suite de Bach, d’autres écrasent le son jusqu’à une âpreté des plus détestables. Au contraire, Strauss fait œuvre de synthèse, ce qui est plutôt de bon aloi pour un compositeur attaché à la fusion, à la réunion des styles. Le Duo est tout autant réussi. Jean-Jacques Kantorow remplit parfaitement son rôle, avec un son d’une étrange qualité, entre sécheresse et sensualité. On le préfère finalement ici plutôt qu’avec une baguette de chef d’orchestre. Les versions de Janos Starker (Philips) et de Miklos Perenyi (Hungaroton) ne sont pas dépassées, mais Michel Strauss peut très honnêtement envisager de les côtoyer avec humilité dans une discothèque.