La dernière ambition du fils de ferronnier devenu star, producteur et homme d’affaires, prend forme avec ce nouvel opus. A 40 ans, il rêve d’inventer un genre musical inédit. Un pari que peu d’artistes, qu’ils soient du Nord ou du Sud, tentent de réaliser aujourd’hui. A l’heure du global village et des cultures plurielles, qui ose encore parler d’originalité au sens plein ? Il est vrai que l’enfant de la médina de Dakar a déjà réalisé une performance semblable, en imposant le mbalax aux Sénégalais et au reste du monde. Mais aujourd’hui, ces envies le mènent loin dans le showbiz international. Il souhaite imposer l’afro-pop. Autrement dit, le droit pour les artistes, originaires du Continent, de fabriquer des tendances universelles, qui iront nourrir les amateurs de variété internationale, sans risquer de finir dans les bacs spécialisés « musiques du monde » ou dans les coins isolés des grandes surfaces. Les disquaires ont besoin d’étiquettes ? D’accord, mais dans ce cas, ce ne seront plus les professionnels européens et américains du spectacle qui les détermineront. Ce seront les concernés eux-mêmes qui les établiront désormais. Youssou en a trouvé une, à force de subir les plaintes de ses différents publics (trop occidentalisé pour ses compatriotes, pas assez pour d’autres / trop africain pour certains, pas assez selon les spécialistes de la world music). « Afro-pop » lui semble être une expression qui capitaliserait son ouverture au monde et sa capacité à réinventer ses racines. A travers elle, il pense pouvoir imposer son rôle de griot planétaire.
L’afro-pop aura-t-elle une destinée aussi fulgurante que le reggae, le jazz ou le hip-hop ? Le nom en tout cas semble plus accessible que le mbalax originel à un large public. Et Joko, le dernier album de Monsieur You, transporte avec un talent irréprochable ce destin futur. Taillé sans excès pour gravir les charts internationaux (il aurait pu faire un peu de techno pour être dans l’air du temps par exemple et pour continuer l’expérience entamée avec Deep Forrest sur « The Guide »), ce nouvel opus raconte en fait le parcours d’un Africain moderne, selon ses propres dires (« Une case ? Oui ! Mais avec de la clim », aime-t-il à raconter), qui quitte son monde pour traverser les terres d’ailleurs, avant de revenir plein d’enseignements pour ses pairs et pour lui-même. Joko est le trait d’union entre le village et la ville. C’est aussi sa vision du monde, morcelée en une musique aussi entraînante que réfléchie, avec un discours humaniste sculpté dans la pierre des convictions profondes. Une musique aux horizons éclatés, qui ne renie pas le terroir mais qui puise partout où l’échange est encore possible. Dans le rock (Sting et Peter Gabriel sont venus prêter main forte), la soul (reprise d’un vieux tube de Peter Tosh dans une version inattendue) ou le hip-hop (Wycleef des Fugees produit trois titres dans cette aventure). Les Africains sont aussi à l’écoute du monde : c’est ce que racontent globalement les seize titres de cet album, qui se termine par une note d’espoir (New Africa), concoctée avec la complicité du Français Rykiel. Un album plein d’invités prestigieux qui démontre par A + B que la magie du griot Youssou, avec sa voix qui soulève les montagnes, ne varie que trop peu d’un registre à l’autre, d’un producteur à l’autre ou d’une passion à l’autre. Pop ou pas pop, sa musique demeure authentique. C’est tout ce qu’on lui demande.