Après l’album de Dizzee Rascal, les Anglais nous balancent celui de Wiley, son mentor et ami depuis plusieurs années. Entre-temps, les deux hommes ont splitté (« Mais on compte faire un jour un album ensemble, c’est obligé…, dixit Wiley). Car oui, on peut parler de duo pour Dizzee Rascal / Wiley. Ces deux lascars ont fait des concerts en Angleterre » face à plus de 4000 personnes en furie, qui sautent et dansent comme des malades mentaux, bourrés d’ecstasy, de MDMA et de harsh weed. La folie. Nous nous incrustons dans les rave-parties pour éclater la tête de millier de gens. C’est notre son. C’est la rue. On ne suit personne. On écoute tout. On adore Timbaland, Kayne West, les Neptunes. Mais je considère que mon crew Roll Deep Entourage possède un son unique. On nous parle de jeux-vidéos et de mélodies digitales trop enfantines, de Garage, de 2 Step, mais notre musique c’est de l’éclatage de cerveau funky… ». L’Angleterre frémit à nouveau, le son des mini-ghettos de East London éclatent des crânes de taz.
Wiley scande ses mots de manière irrégulière, comme sur ses productions minimalistes, fracturées, qui se laissent nourrir par des synthés sortis tout droit d’une musique Nintendo période Super Mario sur Nes. Le son numérique de Wiley est une ébullition de fracas digitaux, qui, minimalisés, permettent aux flows des Mc’s de se concentrer sur une diction qui se mue en voix robotiques. Sur des comptines malades comme Eskimo ou Wo do u call it ?, Wiley éclate du 8 bit dur sous une PlaysStation éclatée, sur laquelle il balance des rythmiques dérangées, hallucinantes et hypnotiques. Son flow énervé d’enfant enragé n’est pas exceptionnel, mais il a le pouvoir de s’installer nerveusement sur des débits qui lui collent aux cordes vocales. Un flow à l’accent déformé, qui ondulent entre slang british et thug life défoncé aux amphés, une lecture du rap étrange, remplie de crachins de pitbulls. Les mâchoires toujours alertes… Racontant la dure réalité de la vie de tous les jours, sans pour autant tomber dans un dark-hip-hop à deux francs (il s’agit ici plutôt de geto stories et autres journaux intimes de thugz…), l’album Treddin’ on thin ice délivre bien plus qu’un nouveau disque de hip-hop venu de l’Angleterre. Il est, tout comme son petit frère Boy in da corner, un carte postale de ce son original que seuls les Britanniques savent autant déformer et placer sur des étiquettes (trip-hop, jungle, drum&bass, 2sTep, Garage… Grimey…), sans pour autant délivrer des sons calibrés pour un public bien défini. Car ce type de musique est né dans des caves de l’East London. Car ce son « nouveau » bousille les oreilles des voisins et emmerde et effraye le gouvernement de Blair. Car hurlé par des minorités qui ont des allures de personnages adolescents de Generation X (ce romand ultime de Douglas Copland qui plaît au peuple.). L’Amérique et l’Angleterre se ressemblent-elles trop ou les liens sont ils trop pourris ? Que fait le peuple de Blair ? Il regarde ses dents maculées de scandales et son sourire narquois ? Oui et non, car la jeune frange de sa population regarde aussi les dents en or des Mc’s aux allures de délurés mentaux. Des thugz digitaux. Wiley est dans ce putain de game made in U.K.
L’opus brillant de Wiley, ce jeune rappeur / producteur de 25 ans que certains n’hésitent pas à qualifier de « Dr Dre anglais », est une très belle image de ce que peux donner la vie urbaine de jeunes freaks de geto, qui vivotent mentalement comme dans Alice au pays des merveilles, sauf que le chat est un diable et que « L’Enfer c’est les autres » (Jean-Paul Sartre n’est jamais vraiment loin lorsqu’on parle de psychologie humaine déformée). Impossible de passer à côté de ce mouvement important que propose Wiley. Ambassadeur de la nouvelle vague d’une génération digitale qui a complètement absorbé la PlayStation dans son mode de vie (mais, nota bene important, qui peut aussi se prendre des balles dans le corps tous les deux jours dans son quartier), et dont les DVDs et les têtes de weed sont des colocataires toujours présents, Wiley largue ici un album important, qui prouve que l’Angleterre et le hip-hop contiennent bien de nouvelles poches en pleine éruption mentale. Dynamite.