Sous la direction du percussionniste et créateur sonore Damien Magnette (Zoft, Facteur Cheval), le Wild Classical Music Ensemble a retourné le Point Ephémère lors de son récent passage parisien et devrait ravir de même les spectateurs de Villette Sonique ce week-end (en concert gratuit samedi après-midi), avec un mélange électrisant de free-punk et d’expérimentations azimutées.
Quelque part entre The Ex et les Residents, Boredoms et Nihilist Spasm Band, la musique progressive mais pleine de surprises de cet ensemble hétéroclite déclenche une véritable transe collective, en un mélange de glossolalies (la chanteuse habitée Linh Pham), de riffs punk (le guitariste chevronné Kim Verbeke), de basse répétitive (Sébastien Faidherbe et son curieux instrument percussif), de trompette en vrac (Rudy Callant) et de mélodica minimaliste (Johan Geenens), portés et soutenus à l’unisson par les roulements de batterie, expressionnistes ou métronomiques, du chef d’orchestre Damien Magnette.
Dans la lignée des compilations Music in the Margins du label Sub Rosa (qui avait d’ailleurs édité leur premier album), le Wild Classical Music Ensemble s’éloigne pourtant de l’étiquette restrictive d’« art brut » en sortant son deuxième album sur Born Bad Records et surtout, en faisant oublier la « singularité » des interprètes, dans un moment de création partagée, de transe – bref, de musique dans ce qu’elle a de plus généreux, de plus communal. Entre cérémonie dionysiaque, catharsis collective et intégration des différences dans une expression libérée, le Wild Classical Music Ensemble compte parmi les plus belles expériences de concerts que vous pourrez vivre ces jours-ci. Interview avec le maître d’œuvre du projet.
Peux-tu raconter la genèse du projet ? Comment es-tu entré en contact avec Luc Vandierendonck, de wit.h, et comment avez-vous commencé à travailler ensemble, avec les musiciens ? Surtout, que motivait cette envie de travailler avec des handicapés mentaux ?
Damien Magnette : Le groupe est né en 2007, de la rencontre entre moi, qui cherchais à monter un projet musical avec des personnes handicapées, et de l’association vzw Wit.h, basée à Courtrai. J’ai rencontré Luc Vandierendonck (qui gère l’asso) en 2007, et ils voulaient justement lancer un projet de musique. Du coup, il m’a invité à rencontrer les membres qui voulaient participer à ce projet, et voilà ! On a commencé comme un atelier d’improvisation libre pendant 6-9 mois, puis Kim (le guitariste) est arrivé avec sa guitare électrique et sa culture rock. Du coup, un jour, un peu par hasard j’ai pris la batterie, on a mis une disto sur la guitare et – paf ! – il y a eu un truc magique qui s’est passé entre tous. Ensuite, en 2012, Sébastien est arrivé, et je lui ai construit un instrument qui fait un son de basse. Du coup, il a fortement renforcé la base mélodico-rythmique du groupe. En plus, c’est un vrai showman, par conséquent les prestations live ont elles aussi été renforcées. L’envie de travailler avec des personnes handicapées mentales m’est venue parce que j’ai animé un atelier d’arts plastiques à Bruxelles pendant un an avec des personnes handicapées. C’est dans ce cadre là que j’ai eu le coup de foudre pour ce type de public. De plus, j’ai vu que certain d’entre eux avaient vraiment des facilités aux niveaux de l’improvisation, de la spontanéité. Du coup, c’est un attrait artistique qui m’a poussé à la base vers ce genre de public.
Es-tu familier de l’antipsychiatrie, de l’art-thérapie ? A côté de la recherche artistique, votre démarche s’inscrit-elle dans une volonté de « soigner » (accompagnement, exploration, libre expression) ?
L’antipsychiatrie, je connais un tout petit peu, l’art-thérapie pas du tout. Mon point de vue, c’est que toute activité artistique est thérapeutique, pour tout le monde, handicapés ou pas, comme peuvent l’être des passe-temps comme la cuisine ou le jardinage. Moi je suis musicien, artiste, et non éducateur ou aide-soignant. Je n’ai jamais eu la volonté de les « soigner », parce que je trouve qu’ils sont parfaits comme ils sont, selon mon point de vue. Par contre, ce qui est sûr, c’est que le processus de faire un groupe est très grandissant et valorisant. Donc évidemment, on a tous beaucoup évolué depuis le début du projet, et ça nous à tous apporté de la maturité, de la confiance en soi, du bien-être. Mais une fois de plus, je pense que c’est le même processus pour n’importe quel groupe. Jouer, avoir de la reconnaissance est très satisfaisant, ça te construit.
Quelles sont les particularités, les singularités (musicales surtout) de chacun des musiciens, et en quoi leurs troubles, à ton avis, rendent leur expression artistique différente (plus libre, moins formatée, plus spontanée ?) de la plupart des musiciens ? (Et quel est cet instrument étrange dont joue Sébastien Faidherbe (cette sorte de basse de table) ?)
Alors, dans le groupe, chacun a une personnalité bien particulière. Johan, qui joue du melodica et de la flûte, joue de la musique comme il peint. Il donne des petits coups par ci par là, juste quand il faut. C’est le musicien le plus minimal que j’ai jamais rencontré. Linh a une personnalité très versatile, elle peut passer de la voix chuchotée au cri primal en une seconde. Elle est très directe, très impliquée. Rudy qui joue de la trompette et chante est à l’inverse très stable dans ses modes de jeu. Il a 62 ans, et une patate de fou ! Kim, le guitariste, est un vrai geek de la guitare et du rock en général. Il prend des cours depuis des années, fait beaucoup de reprises (il a d’ailleurs un autre groupe de reprises). Sébastien (basse et voix), c’est le showman par excellence. Au niveau musical il est très rythmique et mélodique, tout comme dans sa façon de chanter. Il a une énergie hors du commun. Évidemment, leur handicap fait partie de leur personnalité, donc tout ce que j’ai décrit ci dessus découle aussi du handicap. Ça a été mon point de vue dès le départ : percevoir le handicap comme une force, un atout, et non comme une faiblesse. L’instrument de Sébastien est une création maison ; je m’efforce aussi d’inventer et de concevoir des instruments adaptés à leur jeu. Comme à la base, il est plutôt percussionniste, mais qu’on manquait d’un bassiste, j’ai imaginé cet instrument pour remplir ces deux fonctions en même temps. Il aime beaucoup son instrument.