Un chanteur, qui vous cueille d’entrée d’une voix au grain unique, un orchestre historique : deux légendes en une. Le sous-titre « Marrabenta goes to Hollywood » met sur la piste le sémanticien ou l’herméneute qui sommeille en tout amateur un peu exigent de world music. D’Est en Ouest, du Nord au Sud, l’Afrique musicale a dû se retrouver en investissant les cadres imposés par la colonisation : formes, instruments, et, le moins perceptible mais le plus efficace des agents de transformation, les modes de production et de diffusion. L’urbanisation cristallisa cette nouvelle donne. Aux quatre coins du continent naquirent des musiques hybrides souvent tenues en suspicion par le régime dominant.
Au Mozambique, le marrabenta ( dont le nom dérive du mot portugais rebentar -« casser »- qui désignait une façon peu orthodoxe, mais pleine d’énergie, de jouer les premières guitares bricolées du pays) désigna, aux portes de l’Afrique du Sud, une musique porteuse d’un ferment de rébellion. L’Orchestra Marrabenta Star de Moçambique reçut en héritage direct le son du marrabenta moderne tel que l’a défini le Grupo R. M., l’orchestre maison de Radio Moçambique dont il est issu : une section de cuivres rutilante riffe sur fond nourri de guitares et propulse trois chanteurs. De son côté, Wazimbo a débuté dans les années 60, à l’époque où Maputo était en quelque sorte le casino de l’Afrique du Sud ; il y chantait de la pop internationale matinée de musique brésilienne -occupation portugaise oblige-, avant d’intégrer ce qui fait figure maintenant de phalange nationale.
Le présent album est la réédition de son plus fameux enregistrement fait à Harare en 1988. A ceci près que ce qui passa d’abord inaperçu est maintenant son meilleur argument. Nwahulwana, qui donne son titre à l’album est une ballade captée pendant la pause de la séance officielle. Elle ne sortit des limbes qu’au remixage. Dix ans plus tard, Microsoft l’utilise pour une campagne internationale ; cette année, le film de Sean Penn, The Pledge, fera peut-être d’elle un nouveau Bagdad café. Sur de simples nappes de guitares arpégées et fondues à la leslie, Wazimbo lance une voix au souffle chaud, qui prend possession du corps comme un frisson. Tour à tour brûlée, enfantine, adressée comme une prière solitaire, susurrée comme une confidence amoureuse, cette voix embrasse l’Afrique rêvée et l’Afrique perdue. Elle dit la dérive d’une femme (« Tu es un oiseau de nuit, errant la nuit tombée de bar en bar ») : nous l’entendons comme celle d’un continent auquel elle donne une dernière chance. Reçue par Hollywood et Silicon Valley, cette voix ne nous parviendra qu’ainsi, bardée d’effets, traitée, colonisée. Remixée à Londres. Elle n’échappera au destin de sa terre natale qu’en l’accomplissant jusqu’au bout, décrivant son orbite exemplaire. Le reste est plus banal. Des histoires au ras du réel : histoires de poisson trop cher, de pique-nique, de gros ventres qui décident pour tous, de fille folle de chaussures… La voix n’y est plus le vecteur essentiel, mais la danse, le zouk. On est de nouveau avalé par le destin collectif : là, il n’y a plus de tube possible. Une plage pour mourir de plaisir, et les autres pour oublier. Deux histoires en une.
Wazimbo (vcl), Sox (g), Guimarães (g), Xico, Leman (tp), Matchoti (ts), Milagre (elb), Zeca Tcheco (dm), Stewart (perc), Dulce, Mingas (vcl), Alcinda, Lidia, Luciana, Helena (danse). Harare (Zimbabwe), 1988.