Londres, 2009. Allez-Allez, le projet de Sam Willis, remixe un titre de Banjo or Freakout, tout jeune projet d’Alessio Natalizia qui suit les traces de Ducktails vers l’Eldorado pop hypnagogique. Les deux hommes se lient d’amitié et créent ensemble Walls, un de ces duos secrets qui ont contribué à faire gonfler la vague techno-shoegaze vers 2010 en la soulevant de l’intérieur, dans le même élan que Blondes ou Fuck Buttons. Dès leur premier titre, Burnt Sienna, suivi d’un premier album éponyme, la musique de Walls se détache du lot, à la fois très orthodoxe dans sa façon de se situer à la croisée de l’ambient-techno en montée de MDMA et du kraut machinique, et bizarrement hors-piste, comme si quelque chose en elle déborde sans arrêt la formule mille fois rebattue. Ce je-ne-sais-quoi tient à un goût de Natalizia et Willis pour l’inattendu, le désordre, l’élément qui viendrait faire glisser cette tendance un peu convenue vers des sphères plus vastes – que ce soit celle de la musique répétitive, du drone-rock ou de la techno leftfield. Dans Walls, cela peut être une texture inattendue, le sample d’un instrument acoustique ; dans Coracle, il s’agit d’un beat bancal ou d’une mélodie obsédante. Ce sens du détail et du façonnement pointilliste parvient alors à soustraire le groupe du tout-venant de la synth music.
Dans Sound Houses, Walls adopte une démarche plus conceptuelle. Répondant à une commande de la BBC, le duo a eu accès aux archives de Daphné Oram, fondatrice du BBC Radiophonic Workshop. Cette pionnière encore méconnue de la musique électronique (contrairement à l’iconique Delia Derbyshire) conçoit en 1957 un système nommé Oramics, une interface audiovisuelle préfigurant la tablette graphique (avec un demi-siècle d’avance !), qui permet de convertir en son des figures dessinées sur des plaques de verre, chacune correspondant à une piste monophonique. La machine, qui fut exposée au Science Museum de Londres de 2011 à 2013, est vraiment impressionnante, tout droit sortie d’un roman de Jules Verne, et elle délivre un son tel qu’on ne les entend même pas sur les premiers synthétiseurs modulaires de Donald Buchla ; un son d’avant, incroyablement concret, primitif et impur en raison de la matérialité du système.
Natalizia et Willis ont eu accès à toutes les archives sur bandes de Daphne Oram afin d’élaborer Sound Houses. Le programme esthétique en est parfaitement clair : il s’agit de revisiter ces sons historiquement et techniquement inscrits dans une époque lointaine – année 1960, prototype de synthétiseur modulaire – en les amalgamant à une forme actuelle, selon un procédé de vases communicants et d’indistinction temporelle chère au courant hantologique. Le résultat est prodigieusement homogène et ne crée jamais un mur de séparation entre le matériau originel et sa réflexion dans le temps présent. Bien au contraire : les ondes sorties du système Oramics sont une matière sonore que Willis et Natalizia passent au travers de leurs pédales d’effets, étirent ou compactent comme une pâte molle, jusqu’à obtenir ces dix titres parfaitement oramiens et parfaitement contemporains. En somme, la musique de Sound Houses est impersonnelle, sans âge ni signature, et flotte dans une zone indéterminée entre alien techno (Extremely Long Corridor), études acousmatiques (Rendering the Voice I et II), ambient des cavernes (Strange Lines, and Distances), jazz électronique syncopé (A Very Large Metal Box) et pièces électro-acoustiques prototypiques (Orchards and Gardens), comme si le passage des merveilleux sons d’Oram au travers des pédales de Willis et Natalizia leur avait ôté leur identité si particulière, les avait dépossedés de leur primitivisme visionnaire.
C’est un peu dommage, tant le matériau d’origine se passe d’intervention, et en même temps les opérations mises en jeu par Walls restent insuffisantes, tant pour composer une musique véritablement gouvernée par les sons du système Oramics que pour prendre véritablement la main sur ce matériau. On sent Willis et Natalizia hésiter entre les deux options, sans parvenir à trancher. Au final, Sound Houses est un bel album, mais qui ne parvient pas à s’extraire complètement de son orthodoxie synth underground et ne donne pas leur pleine mesure aux potentialités du projet. On peut toujours rêver d’un album où au lieu des archives, ce serait la machine elle-même qu’on extirperait du musée.