Un ami m’a dit, on appelle ça du spazz, ou du moins on met le mot spazz dedans. Spazz-rock. Comprendre, tressaillant, chaotique, compliqué, éduqué, épileptique, toujours sur le fil entre complexité math et n’importe quoi noise. On ne sait vraiment jusqu’où le vocable remonte précisement (Skingraft ? Don Caballero ? Beefheart ? Coltrane ?), mais apparemment, ça concerne peu ou prou toutes les tentatives art rock eruptées par le tout venant freak rock US de ces dernières années qui ne fait pas du post-rock, Lightning Bolt, Hella, Noxagt, Oneida en première ligne, tous ces affreux jojos aux deux cent mille projets mélangés qui mettent du muscle dans leur chaos, et des roulements de batterie volants partout derrière les mélodies. Et ce qui est chouette en ce moment, c’est qu’ils veulent tous parler en douceur, en mélodies colorées, faire comme le Deerhoof de Greg Saunier, ou, évidemment, Animal Collective, suivre la comète joyeuse, et ça fait un sacré paquet de disques fous et beaux à manger, et un vrai futur plausible, chouette parce que spontané, pour la pop (la spazz pop, alors ?). Les ponts impossibles (Deerhoof en backing band de la Danielson Famile, sur la cathédrale Ships) et les méchants boucaniers d’hier deviennent les mélodistes les plus chouettes (sérieusement, collez Hella, tout ce qu’ils touchent ces jours sourit à la vie comme c’est pas permis). Et, chouette encore, plus pop encore, il y a ces petits nouveaux de Volcano !
Au premier contact, et parce qu’on se méfie toujours de Leaf, devenu usine maligne à licences, Volcano !, c’est trois types sans amonts (un fait rare, dans le maquis noise), qui font tout de suite suiveurs : nom tellement pompé qu’il amène la confusion (Volcano the Bear, quand même), épilepsie frontale cramée au premier coup de tom, textures (guitare, analog keys, silences) lisibles comme dans une recette magique élaborée par Pitchfork à l’usage de tous les wannabe freaks de New York City… Ces garçons connaissent la recette sur le bout des doigts, et leur chaos semble, pendant les 120 premières secondes de Easy does it, après l’intro-silence de coutume, tout calculé à la pipette hipster. Et puis, après le bordel surjoué, le newcomer Aaron With (joli nom) fait sortir sa voix de la broussaille, et Volcano ! plonge dans l’emo, Volcano ! plonge dans la pop music. Pour aller vite, on dira tout de suite que malgré les minauderies arty d’usage (genre je connais aussi Ghedalia Tazartes et j’ai une compilation de chanteurs bizarres à la maison), le garçon chante comme Thom Yorke, et qu’il doit le faire les poings fermés. C’est, paradoxalement, une mauvaise et une bonne nouvelle à la fois. Mauvaise parce que la musique violente qui hurle la tristesse et la dépression (ça va de Isis à Godspeed, l’affaire), on l’abhorre pas mal ; bonne, parce que ça ne va pas si loin dans la pleurnicherie et que ça donne un corps, une âme, des directions aux chansons du groupe et aux tours de vibrato exagérés de son chanteur, qui le rend immédiatement singulier et attachant. Bien moins malin que ses aînés quotés plus haut, Volcano !, en bons harlequins teenage, aiment sûrement autant le hardcore des Blood Brothers qu’ils vénèrent tous les projets de Ian Williams, Donc Caballero, Storm and Stress ou le récent Battles, et ils apparaissent tout de suite comme les gamins impressionnables du lot.
Leurs chansons à tiroir prennent donc tout leur sens dans un lyrisme au bord du gouffre, à la limite du sale, mais sans jamais mettre le moindre orteil dedans : le magnifique 40000 dollars plus interest s’étire exactement comme un morceau de Radiohead joué par Animal Collective, La Lluvia maltraite Jeff Buckley en le faisant boire, beaucoup, puis en l’enfermant dans un générateur de bruit blanc, Hello explosion copie-colle Don Cab, avant de se muer en litanie rampante eno-esque, le dernier Pulling my face, In and out of distortion, I blink too much force Will Oldham à mimer Alice Cooper. Tout ça ponctué de mille inventions jolies, produit du bassiste / bricoleur de synths Mark Cartwright, qui en met dans toutes les couches. Ca marche bien, donc, avec un son charmant de surcroît, c’est du spazz pour jeunes, peut-être, et ça fait, doublement, un disque de pop très excitant parce qu’éventré de milles crachats de bruits et de rythmes cassés en mille morceaux, et un disque d’art rock bizarrement émouvant. Bonne pioche.