La double compilation Snax arrive dans les bacs, bondés d’avancées et de déconstructions electro-soniques, de potions pop éclaboussantes, d’une musique brisée aussi bien sur les bites en ciment de Paris que les glaces cubaines de Miami ou les ritournelles déglinguées d’Oakland, pour faire bref. Et cette musique a toujours la gueule de bois, à force de livrer des lives pétillants autour du globe. Avec comme tête chercheuse l’artiste Komori, dont il est délicat de décrire la force de secousse en écoutant le délire Orchepstra, le label arrive à se creuser une identité, à l’écart des porcelets argentés de Kitsuné et autres branches branchées de bangers en mode burgers fabriqués chez Ed. Rolax ; c’est différent, c’est un peu comme si Antonin Artaud était né à Compton ou si Marcel Duchamp crevait la gueule ouverte sur un ready-made ultime. De fait, s’il est délicat à la première écoute de classifier Rolax et ses acolytes, de les comparer avec la scène parisienne ambiante, c’est en partie parce que cette entité aux effluves chimiques puise plusieurs forces du côté des usines désaffectées de Porte de La Chapelle, les trousses remplies de crack, les parcelles de dioxydes de carbone à la place de l’oxygène, sautant aussi bien sur de l’electronica enrichi au MDMA que sur du grime à la sauce cokée ou du hyphy en mode vache qui rit. Tout est possible avec Rolax, mais tout est concentré et bien organisée.
Ce double CD permet entre autres de découvrir le petit prodige du circuit-bending, issu de la scène punk et techno underground, l’homme que l’on nomme Computer Truck. Ce camion-ordinateur parvient sur Floop floop a lancer un électron rétrofuturiste particulièrement jouissif, passant du breakbeat au hip-hop en deux temps trois mouvements, le tout teinté de reminiscences funk et noisy. Parce que la House, c’est plutôt Chicago, la bass souvent Miami, le disco New York et la musique du bruit qui pense, Rolax n’arrive pas à coller aux paris du Paris-Paris, sauf pour y semer des extasys Daffy Duck ou y casser du Fluo. Avec de la blanche ou une barre de cuivre, des morceaux trop compliquées pour les cervelets réduits ou du kebab enrichi à la vitamine D. Un des chefs-d’oeuvres de ce double missile est sans conteste l’impressionnante fusée I love boat part II de Ken Krush, sorte d’oiseau magnétique et electronique qui migre en furie vers des nappes phréatiques moulées sur des synthétiseurs formidablement torturés, de saturations rythmiques envolées et de beautés techniques. Les commandos spéciaux de Komori connaissent leurs bonshommes de chemins, de la fente d’Otto Von Schirach (signé chez Ipecac) qui faufile sa voix graveleuse sur un mur du son electro-gothique (Zombie from), aux premières révolutions du label américain Schematic. Le poulain Dino Felipe condense ici son étrange electropop classé X sous la forme d’une bonne grenade sonique (Stroke type). Tous les morceaux sont choisis pour s’enchaîner à foison, enchevetrés à en faire bouger les méninges et les derrières. C sous le nez, apparente – et non pas dissimulée comme chez la majeure partie de la scène branchouille parisienne -, Rolax tient en équilibre sur des artistes surentraînés, avance avec des poches sous les yeux, jette des veloutés musicaux assez spasmodiques, comme sur la parcelle instable et sautillante NYSA, propulsée par l’américain Seep. Le jeune label zoome également sur les étoiles 8-bit et les glitches implosés de Team Doyobi (Splendid dash), duo connu entre autres pour avoir largué ses sons sur les écuries Fat Cat ou Skam. On surfe ensuite sur l’electro ludique et débridée de l’architecte mi-enfant mi-adulte Mochipet (Blood on your Reeboks), puis le disque saute comme par enchantement vers l’univers malsain de Satanicpornocultshop qui exp(l)ose ses hallucinations génétiquement incorrectes (le sublime mix dub de 2 more heads sprouted), enfonçant un clou en forme d’aimant dans le crâne de l’auditeur. Rolax va également chercher du grain à moudre en Ecosse et au Japon, comme en atteste l’electro hip-hop brisée de l’artiste Romvelope (Huwe N me) ou l’interlude violente du nippon Dj Scotch Egg (tous deux sont signés sur le label Adaadat). La compile fourre aussi les pieds dans le feu à travers les spasmes electro du français Aka Bondage (Bubble z money) et Subjex (le parfaitement déglingués Malfunktion), artiste par ailleurs signé chez les britanniques de Planet-Mu.
Souvent releguée au rang de constat, le format compilation est traitre et arrive rarement pas à canalyser un sujet ou des thèmes, s’éparpillant trop souvent, et trop vaguement, en bouillie pour Djs balbutiants. Ce n’est pas le cas avec Rolax snax 1, qui fourmille d’inventions. Car le volcan Rolax est saturé de plaques tectoniques et d’environnements boom-tchack qui vomissent de belle manière ses relents d’acides en forme de geysers orchestrés. « Ces jouets qui parlent » usinés chez Rolax évoquent l’interdépendance d’un certain état musical sous-terrain, remplis d’hommes, d’instruments, de laptops et de machines Commodore ou Amiga, d’Akai S20 et de guitare séchées, le tout rassemblé autour d’un lien plutôt libre et libérateur : l’ivresse. Un label à suivre avec grande attention.