L’excellent label Soul Jazz Records continue de défourailler éclectique parmi les pépites de l’underground soul (les compilations soul-funk sur New Orleans, Chicago ou Philadelphie), jazz (New Thing, Art Ensemble of Chicago), rock (Country Sisters), disco (Harmony, Arthur Russell), reggae (les fameuses 100% Dynamite), krautrock (Deutsche Elektronische Musik), ou post-punk (No New York). Un peu plus inattendues (car loin de l’étalon groove qui fait l’ordinaire du label), ses dernières sorties font la part belle au punk underground anglais et américain, le plus sauvage, électrique, crado, et parfois anecdotique, mais pas moins « patrimonial » que le tropicalisme ou le dancehall, comme en a récemment témoigné l’exposition Euro Punk à la Cité de la musique à Paris, faisant entrer le punk au musée, entre spectaculaire intégré, dilution de la contestation dans l’institution et généalogie de l’esthétique punk. Ces nouvelles compilations sont d’ailleurs accompagnées d’un « beau livre » de pochettes de disques, curaté par le spécialiste anglais du punk Jon Savage (auteur du England Dreaming de référence) et le boss de Soul Jazz, Stuart Baker, dévoilant les influences (conscientes ou inconscientes) d’un véritable art punk : le constructivisme et le futurisme européens mâtinés d’art brut enfantin et de graffitis urbains (pour faire court).
Mais revenons à la musique. Dans l’ombre en Angleterre des Buzzcocks, Sex Pistols ou Clash, et aux U.S., des Ramones, Modern Lovers ou Stooges, la scène alternative et DIY punk eut son lot de pépites qui ne passèrent pas aussi bien à la postérité, faute de chance ou de persévérance (la plupart des groupes en présence ne sortirent qu’un ou deux singles autoproduits), ou simplement, peut-être, parce que le punk fut par essence un mouvement éphémère, explosif, juvénile. Soul Jazz ressort de leurs tombes ces enragés spontanés, enregistrant dans leurs garages des brûlots lo-fi échevelés (et parfois écervelés), débutant par les « One, two, three, four ! » ou « One, two, cut your hair ! » (Johnny Moped) braillés de rigueur. Vraies obscurités (The Cigarettes, The Cravats, Disturbed) ou célébrités underground (Père Ubu, TV Personalities, Josef K, Theoretical Girls, Swell Maps), les deux premières compilations font la part belle aux cartoonneries incendiaires et élastiques ou aux discours antiautoritaires parfois naïfs, entre revendication de liberté et affirmation de soi adolescente. Les plus marquants (car les plus drôles) jouent sur l’auto-dénigrement maso (l’hilarant I’m a bug par les très primitifs Urinals) ou marquent par leurs recherches formelles, annonciatrices du post-punk : The Modern Dance de Père Ubu, avec ses crissements de bruit blanc et son groove quasi krautrock, sur les éructations de David Thomas ; Joeboy The Electronic Ghost de Tuxedomoon, qui ressemble beaucoup beaucoup au Here Come The Warm Jets de Brian Eno ; le très martial U.S. Millie des Theoretical Girls qui semble faire référence aux parties pour piano de Steve Reich…
Ces deux premières compilations, très cohérentes, s’accompagnent désormais d’un troisième volume, qui pousse un peu plus loin la recherche archéologique dans les bacs des disquaires poussiéreux, révélant les fondations du punk dans la queue des comète garage-rock des années 60 et le début du glam-rock. Beaucoup plus éclectique (de Cabaret Voltaire à Death), Sick On You! One Way Spit! After The Love & Before The Revolution mélange proto-punk (inspiré par les Sonics ou Count Five) et stoner-glam (sous influence Hawkwind ou New York Dolls), dans tout le paysage proto-punk anglo-saxon, de Cleveland (Electric Eels et leur séminal I am So Agitated) à San Francisco (Crime), en passant par Baltimore (George Brigman) et Londres (le projet pré-Clash de Joe Strummer 101ers, le rhythm’n’blues de The Count Bishops). Les trois compilations sont évidemment accompagnées de livrets fouillés et fournis en biographies érudites, photos d’époque et anecdotes rigolotes. On y découvre ainsi les patronymes des membres du groupe space-glam Zolar X de Los Angeles, ancêtres cheap de Sigue Sigue Sputnik et Spinal Tap : Ygarr Ygarrist (guitare), Zory Zenith (voix), Eon Flash (batterie), Zany Zatovian (basse) !
Le tour d’horizon sur la chose punk ne serait pas complet sans annoncer le projet de James Schneider, réalisateur de films sur le label Dischord, le groupe The Make Ups ou le cinéaste Jean Epstein, pour son film Punk the Capital, un documentaire explorant la scène punk à Washignton D.C., de 1976 jusqu’à l’explosion hardcore au début des années 1980. James Schneider a lancé une souscription sur Kickstarter pour financer son film, moyen moderne s’il en est de réaliser en DIY une œuvre, 37 ans après le premier 45 tours punk autoproduit, le fameux Spiral Scratch des Buzzcocks. La boucle est bouclée.
Punk 45 Vol 1 : Kill the Hippies! Kill Yourself! The American Nation Destroys its Young Underground Punk in the United States of America (Soul Jazz Records)
Punk 45 Vol 2 : There’s No Such Thing As Society, Get a Job, Get a Car, Get a Bed, Get Drunk! Underground Punk & Post-Punk in the UK 1977-1981 (Soul Jazz Records)
Punk 45 Vol 3 : Sick on You ! One Way Spit ! After the Love & Before the Revolution Proto-Punk 1969-77 (Soul Jazz Records)
Punk 45 : The Singles Cover, Art of Punk 1976-1980, de Jon Savage et Stuart Baker, éd. Soul Jazz Books, 400 p.
http://www.souljazzrecords.co.uk/