De toutes les écuries indépendantes à avoir fleuri ces dernières années dans le hip-hop US, celle qu’a constituée Peanut Butter Wolf autour de son label Stones Throw est sans doute l’une des plus sous-estimées. Déjà desservi par une distribution exécrable (en tous cas en France), Stones Throw paie en plus le prix de la discrétion revendiquée de ses artistes, dont il est peu probable que vous voyiez un jour le nom accroché à un réverbère place de la Bastille. Et pourtant, loin de la flamboyance matérialiste comme des poses tourmentées qu’affectionne l’époque, Peanut Butter Wolf a su faire de son label l’une des plus sûres adresses pour l’amateur de musiques noires, alignant l’encyclopédisme vinylique d’Egon (auteur l’année dernière d’une compilation remarquable d’érudition, The 16 funky corners), la force hip-hop de Lootpack et Medaphoar, les breakbeats live de Breakbestra et, last but not least, le génie barré de Madlib, fils spirituel de Sun Ra et du Prince Paul de 3 feet high & rising.
L’origine de ce Peanut Butter Wolf’s jukebox 45’s est tout un symbole : âgé d’une dizaine d’années, PBW rêvait de posséder un jour un juke-box composé uniquement de disques de rap ; et puisqu’on n’est jamais mieux servi que par soi-même, parvenu à la tête d’une maison de disques, il décida en 1998 de garnir lui-même la machine, grâce à ses potes. Ainsi naquit la collection de 45 tours de Stones Throw, forte aujourd’hui d’une vingtaine de sorties introuvables et soignées qui sont autant de potlatch musicaux, et dont ce double LP nous offre 22 extraits (soucieux de ne pas navrer ses amis collectionneurs, Peanut Butter Wolf a pris soin de ne sélectionner pour cette compilation qu’un titre par single).
L’album est évidemment dominé par la figure d’homme-orchestre de Madlib, qu’on retrouve navigant entre Jimmy McGriff et Weather Report sous le nom de Yesterday’s New Quintet pour quatre (petits) titres, subtil et aérien remixant le Microphone mathematics de son alter-ego extra-terrestre Quasimoto, scratchadélique avec The Ox (feat. Oh No et Medaphoar), signé Madlib Invazion ou recréant l’atmosphère des disques de Donny Hattaway pour le Flowers de Dudley Perkins. On n’oubliera pas non plus, parmi les contemporains, le 100% hip-hop Place your bet de Medaphoar et l’excellent Devotion de Peanut Butter Wolf et Charizma, qui démontre une nouvelle fois -ceux qui connaissent son LP ne seront pas surpris- tout ce que le style de Dj de PBW peut avoir de musical.
Opportunément scandé par les interludes 4/4 de Beat Conductor et les syncopes déjà bien connues chez nous du Breakestra de That Kid Named Miles, le disque offre également une sélection d’oldies qui n’auraient pas dépareillé sur The 16 funky corners : on retiendra tout particulièrement l’authentiquement spaced-out Rocket ship de The Stark Reality, dont les claviers 1970 saturés semblent tout droit sortis d’un hangar de Cap Canaveral, et le Poppin’ popcorn des Highlighters, que l’Art Ensemble a dû pas mal écouter avant de composer le Thème de Yo-yo des Stances à Sophie (à croire qu’un titre de funk où figure le mot « popcorn » ne peut pas être mauvais).
A l’écoute de cette sélection, nul doute que le Peanut Butter Wolf de 12 ans serait fier du juke-box que lui offre le Peanut Butter Wolf d’aujourd’hui, qui petit à petit impose Stones Throw comme l’authentique héritier de ce funk languide qui caractérise si bien L.A. depuis Charles Wright et son Watts 103rd Street Rhythm Band.