Mais qu’est-ce qui nous fascine autant dans les sorties du label Ostgut Tonträger ? Emergence discographique d’un des night-clubs techno les plus révérés de Berlin, le label se consacre depuis le premier jour à une ligne esthétique glaciale et très puriste qui semble directement inspirée par l’ancienne centrale électrique du quartier de Friedrichshain dans laquelle le club s’est établi. Mais ce ne sont pas les fameuses orgies qui se tiennent dans l’ombre de ses backrooms qui ont fait la réputation du Berghain et de son annexe le Panorama Bar, mais l’excellence de son sound-system (l’un des plus perfectionnés au monde) et la dévotion quasi mystique de ses Djs résidents, Marcel Dettmann, Ben Klock ou Cassy à la house, comme forme d’art et vecteur essentialiste et shamanique de la danse dans sa forme la plus éthérée (quand elle est débarrassée de la société et n’a d’autre propos qu’elle-même).
Comme dans les grands moments de Villalobos ou Basic Channel, pas besoin d’avoir foulé l’érable du dancefloor pour déceler ce que l’art de la house y a gagné : transmutée en art pur dans les références les plus singulièrement créatives et les plus abouties du label (les propositions étranges des détectives sauvages Dettmann, Ben Klock ou Shed), cette étrange ardeur fait des offrandes sonores qui dépassent même le contexte de la techno et font muter le genre de l’intérieur, sans avoir à lui inventer de nouveaux écriteaux ni à modifier son code génétique. Ce qui fait l’originalité de cette grosse compilation assemblée pour fêter cinq ans d’activités est d’ailleurs moins la charmante idée formelle qui lui sert de fil conducteur (une banque sonore de sons enregistrés dans le bâtiment, soumise aux artistes sans obligation d’usage) que cette impression paradoxale, quand on laisse filer les deux CD, d’écouter autre chose que de la deep house ou de la minimal techno alors que tout, tout, tout ce qu’on entend effectivement appartient aux champs lexicaux des deux genres : Murat Tepeli met à jour Moodymann, Cassy trempe un inédit d’Armando dans du nitrate liquide, Shed booste le Sonic destroyer d’Underground Resistance et Luke Slater fait… du Luke Slater. Mais une simplicité remarquable, une absence de détours en rupture avec les mille-et-une chichiteries de la techno contemporaine s’exprime jusque dans la manière dont les membres du cénacle usent des échantillons hantés échappés du bâtiment, qu’il découpent pour les transformer en percussions à faire virevolter, en kits de batterie ou congas de métal froid sans jamais se soucier des fantômes ou des danseurs qui y sont emprisonnés (l’affaire de l’auditeur-rêveur qui préfère boire du schnapps dans son salon). Surtout, presque tous jouent systématiquement de la grosse caisse à tous les temps comme ils respirent…
Et c’est effectivement une respiration, une évidence transparente comme l’air qui n’effraiera que les réfractaires d’un autre temps pour qui la techno est encore affaire de mode de vie, de volume et jamais d’art, jamais de visions. Tant pis pour eux, chacun de ces morceaux est sans même y songer une installation Op Art en puissance, un papier peint luminescent dans une coursive enterrée du club, une énième ligne gravée dans le manifeste merveilleusement puriste (le purisme est comme le cholestérol, il y a le bon et le mauvais) qui est devenu la norme d’un label devenu indispensable.