Il y a seulement cinq ans, ce disque aurait été noté 5 sur 5. L’opération aurait alors été parfaite : il y a cinq ans, Soul Jazz était encore le successeur le plus pointu des compilations Mastercuts -à l’origine au début des 90’s de toute une génération d’anciens rockers aux mystères du groove et des breaks funk. Sans jamais s’écarter de l’esthétique kraftwerkienne « Man plus electronics » (Mantronix), le label fut un acteur important de la scène rap new-yorkaise des années 1986-88, où il se montra un pionnier particulièrement inventif de l’usage du sampler. L’affiche était donc plus qu’alléchante.
Sauf que, entre temps, les animateurs de Soul Jazz se sont à leur tour laissés dépasser par de plus acharnés et de plus pointus (Strut et son sous-label Afro-Strut, Harmless, BBE…). Ce qui aurait constitué un vrai document il y a cinq ans relève aujourd’hui du mauvais goût, du déjà vu. Les morceaux choisis par Mantronix sont clairement des « grands classiques de l’underground » beaucoup plus que d’obscures perles rares (comme le Mexican de Babe Ruth sélectionné par Flash), le sieur s’étant par ailleurs contenté de fournir une liste de titres à Soul Jazz, sans mixer lui-même sa sélection
Cependant, cette nonchalance ne nuit pas vraiment au disque ; elle lui donne même une certaine cohérence, par son éclectisme même, témoin du creuset extraordinaire que fut New York dans ces années 1980 où le rapper G.L.O.B.E. pouvait par exemple interpeller son Dj Whiz Kid sur Play that beat Mr. Dj (Tommy Boy 1984) : Punk rock, new wave and soul / Pop music, salsa, rock & roll / Calypso, reggae, rhythm & blues / Master mix those number one tunes. Le LP est exactement à cette image : on passe ainsi aléatoirement des rimes old-school des Funky Four Plus One ou de Crash Crew au disco progressif façon Paradise Garage (Machine, Unlimited Touch), en passant par les petits maîtres de la new-wave synthétique anglaise (Visage, Art of Noise), japonaise (YMO ou Ryuchi Sakamoto en solo) ou… suisse (les inénarrables Yello).
La disco tardive aux inflexions dub et électroniques qui tournait sur les platines de Larry Levan ou David Mancuso est désormais un domaine assez bien balayé par la manie compilatoire ; le disque contient donc peu de surprises de ce côté-là. Son intérêt réside plutôt dans la résurrection de groupes aussi usés au sortir des années 1980 que Visage ou Art of Noise, auxquels il restitue leur fraîcheur. Enfin, les témoignages sonores des débuts du rap sont suffisamment rares pour qu’on ne crache pas non plus sur un pressage vinyle de qualité d’un morceau des Funky Four Plus One, du It’s yours de T-La Rock au plus dispensable Jimmy Spicer. Toutefois, on ne peut s’empêcher de penser que le paquet aurait vraiment été complet et fidèle à la promesse de son titre s’il avait compris aussi le King of the beats de Mantronix lui-même (1988), sans doute le dernier grand disque de breaks, avant les débuts du turntablisme façon Dj Premier in deep concentration. Rien de rare, donc, mais que du bon et du solide, ce qui n’est déjà pas si mal.