Qui se souvient de la première sortie Karat ? Commencé avec ARK et son Mr Full Destructor Ep, le label français dirigé par deux passionnés (Alex & Stéphanie, également Djs et placeurs de sons) continue de brûler sa passion en sortant des disques taillés sur des mesures minimales. Le catalogue rempli de pépites électroniques malines et habiles made in Karat s’étend de plus en plus, pose un éventail impressionnant de vinyles à modules dansants et minimalistes (Krikor, Quentin Dupieux aka Oizo, Chloé, Jean Nipon aka Dj Aï, Chloé, pour ne citer qu’eux). Le monde que propose l’entité Karat Records commence à rivaliser sérieusement avec certains voisins teutons et britanniques. A chaque sortie ou événement, les sillons des soirées Karat se nichent dans les clubs branchés et débranchés du monde entier. Label underground chevronné, Karat balance des titres inédits d’artistes ayant déjà posé chez eux (Electromenager, Dj Wet, Skat, Cabanne, Dolibox, Ark, Mikael Weill…) pour le troisième volet d’une compilation entamée avec du rose en couverture.
Le fantôme du sieur Ark trône au-dessus du lot, son morceau Chantier en premier lieu. Il y expulse des claps et des ondulations synthétiques enivrantes, des strates hallucinées où les mélopées s’enivrent (d’)elles-mêmes. Ark pousse aussi les boutons aux côtés de Mikael Weill (le duo Les Cerveaux Lents cadenasse le track In the crack), sortant des chausses-trappes que représentent ses grilles harmoniques troublantes. La singularité du duo parisien Ark / Weill n’a rien à prouver, continue méchamment d’enchaîner les petites tueries minimalistes. Cette singularité stylistique et détachée émerge sur Chantier, un plan poussé par Ark en montée au ciel et en descente aux enfers. Inspirée, hallucinogène, à mille lieues de la pauvreté du discours trop rempli des guitar heroes électroniques qui prennent la tune dans ton club en 2007, le son explose en silence, monte en descendant les escaliers des chiottes de ta boîte de nuit, titubant du derrière. Le reste du disque est succulent, s’écoute d’une traite, sans embûche, fait penser par moment aux plages du canadien Akufen ou aux sursauts du ricain Sutekh. Les changements de tonalités sur le titre Emie de Mikael Weill donne un tournant agréable à l’opus qui semble errer au service d’une composition sensible, sans fioritures. Intemporelle, cette jolie compilation technoïde n’a jamais recours à un habillage mode, ne vit aucune altération de son intégrité minimalistique. Que des plans simples, mais parfaitement mis en boite. On notera par exemple les exquises esquisses d’Antislash et son crépitant Bloc 4 qui scotche les semelles au dancefloor, dégueulant doucement des vocaux découpés en mode panoramique. Malgré le peu de paroles présents sur ce cinquième CD estampillé Karat, on entend très bien le coeur et les voix cachés derrière chaque clicks, chaque bruits de grillons ou d’oiseau, chaque chuintements de plastique déformé ou de basse graissée qui s’écrase avec passion sur les murs d’un son qui taquine en permanence. Cette belle réussite s’écoute à n’importe quelle heure de la journée. Comme dirait l’autre.
Glissement d’univers mais pas de bled. Paris, France. Toujours et encore des indés qui triment en souriant. Rolax Records est un label indie qui partage souvent l’affiche et / ou le PCP avec Karat et dont les babines sont pourléchées depuis 2002. Rappelons que l’écurie a été fondée par un certain Leonard de Leonard. Aujourd’hui, c’est notamment grâce à la montée en flèche de son artiste phare Komori, connu également pour son commerce de jouets adultères (sextoys, peluches, jouets-instruments…), que Rolax déroule le tapis rougeâtre. Listé par les services Sacem pour avoir dégoupillé son premier album Ramen girl chez Modulo Records, l’énergumène ne fait partie d’aucune scène electro. Il les ingère toutes, se balade de travers à la manière d’un crabe éloigné du gros rocher en or qui scintille sur les pins Ed Bangers. Proche de Rephlex et Schematic, Komori flirte plutôt avec les comètes et leurs noyaux durs, leurs chevelures analogiques et leurs queues de cuivre. Electronique et rock tout en faisant du saute-lapin avec une IBM cintrée (4 days after), la musique du poulain le plus rempli de chez Rolax se frotte également aux chaleurs de guitares craquelées, réchauffe le feu d’un Bontempi claqué depuis dix ans (WFC), divise en deux la boutique des grandes horreurs (Crystal lazer junkie et ses cliquetis lancinants). Entouré d’une flopée de musiciens amis (Dino Felipe, Dj Wet, Otto Von Schirasch, Seep, Toyz R Me), c’est aussi sûrement grâce à ses nombreux voyages et ses collaborations ici et là-bas (Japon, USA, Grande-Bretagne…) que cet artiste humble et talentueux a su déjouer les pièges de la facilité parisienne.
Les spirales tourmentées de son dernier rejeton, Convul C K, évoquent aussi bien les rythmiques alertes d’un Bogdan Raczynski sevré, les sautillements 8-bit d’un Wiley au ralenti et les effluves alcooliques d’un Mu-Ziq bourré aux amphétamines. Submergé de sensibilités et d’arrangements discrets mais tapageurs, ce gaillard de 27 hivers propulse une grosse partie de son énergie chaotique sur le sublime Pony bass, une sauterie électrique boursouflée de clappements sautillant et malmenés, nappés de samples spacieux et d’infrabasses qui suintent la coke découpée au rasoir. Le compère de Dino Felipe (qui sort dans la foulée son Ep Album, title, ideas… également chez Rolax) fait plonger les pieds en l’air et sort des couleurs fâchées en forme de synthés impulsifs d’une actualité criante. Komori place ses mélodies là où on n’en attendait pas, poussant la musique hors de son temps, cassant son Bontempi sur une guitare qui s’est usée à force d’imiter les tournicotis des riffs de Silver Jews. Akai S20, Electribe et basse à la main, l’engin sonore de ce diablotin ne cesse de trembloter, de bondir pour mieux se reposer sur des ondulations fiévreuses (la version live de Convul C K featuring OOO et Takeshi Muto). Il semble qu’il faudra toute une vie à Komori pour exorciser les affres de sa création imaginative. Tiraillé entre crunk claqué, booty lente et grime impétueux, religion et cochon, electronica et rock sur planche à roulette, Ramones et hip-hop nerveux, soupe Phô et kétamine, cet alien est capable, lorsqu’il se pose, de faire preuve de qualités de composition rare. Komori réussit quelquefois à soulever une sorte de climat nostalgique et lumineux qui se fait traverser par des pétards de bonheur et des gouttes acides. Un artiste à suivre de loin. Pour les courageux.