Les producteurs de hip-hop ont samplé toute l’histoire de la musique, tous les styles, des violons de Beethoven aux pianos de Franck Zappa en passant par les rythmes de James Brown. Quelque soit le style, quelque soit l’origine, toutes les musiques sont pour le hip-hop des sources. Mais ce style entretient avec la musique électronique un rapport particulier depuis son origine. New York, 1978. Dans les Block-parties qui prennent d’assaut les rues du Bronx, des Djs comme Afrikaa Bambaataa, Dj Kool Herc ou Grand Master Flash mixent une potion dansante, une musique en fusion qui sert d’acte de naissance au Rap. Les premières rimes qui s’y élaborent en même temps que les techniques de mix sont secoués par des cuts piochés dans la house de l’époque, dans les musiques électroniques qui affleurent alors à New York, voire carrément dans le Krautrock allemand. Les rythmiques électroniques de la TR-808, les mélodies acides de Kraftwerk autant que les breaks funk de Kool & The Gang serviront de base à l’édification d’une nation musicale, entres autres.
Les esprits ouvert de ce mouvement ont su préserver l’essence de ces messages synthétiques, qu’ils réinjectent à tout va dans leur production. Exemples : RZA & GZA, les hauts dignitaires du clan des shaolins new-yorkais Wu-Tang Clan, qui s’allient ici avec le casseur de breaks Prefuse 73, ou encore le vétéran Prince Po (de la formation mythique Organise Konfuzion) qui continuent de livrer ses secrets sur l’ancienne subdivision hip-hop du label electro Warp (Lex s’est aujourd’hui émancipé, depuis le succès du projet Dangerdoom…). Le rap déviant et digital de Madlib et MF Doom (Madvillain) ou celui d’Existereo (Shapeshifterz) fait perdurer les interconnexions qui brouillent les dictionnaires des musicologues et autres terminologues. Ce son nouveau, nourri au biberon 8-bit et à la techno, ravage à son tour les oreilles d’un milliard de b-boys dont le cervelet explose peu à peu dans les soirées underground des quatre coins du globe. Errant sans fin dans des ruelles électriques les oreilles remplies d’Aphex Twin, des laborantins rapologiques comme Beans (Antipop Consortium), Madlib (encore lui) ou Tes, se connectent désormais aisément avec les formations électroniques Four Tet, TTC, Funkstörung ou encore Dizzee Rascal. Cette myriade d’enfants numériques a digéré avec brio les leçons des patrons de l’underground. Qu’ils sortent des labels StonesThrow, Big Dada, Lex Records, Planet-Mu ou Warp, ces b-boys libres qui pratiquent un hip-hop à teneur futuriste n’ont jamais cessé de faire allégeance aux pères fondateurs de l’electro, tout en gardant une longueur d’avance. Future sound est le son de ces gens-là.
Dans un autre style, mais tout autant déclassé, la compilation du jeune Dj Detect redonne un peu de piment à sa jeune discographie en dents de scie. Représentant la France lors d’une récente réunion de la « Red Bull Academy » (dont le carnet d’adresses a aussi touché Madlib, Prince Paul, Rob Swift, entre autres…), Detect continue son petit bonhonmme de chemin en proposant une nouvelle compilation qui lorgne vers la musique électronique mutante, comme en atteste d’entrée de jeu la grenade Depicted de Krazy Badlhead, jeune recrue du label Ed Bangers. Premier bon choix ! KB est un jeune artiste à suivre avec attention, tant il décal(qu)e ses breakbeats sur des filins de métal urbain, tirant les arpèges de guitares écrasées sur des bribes de pianos tintinnabulants. Les breaks se décalent, puis décapent le ventre, tout en surfant sur des synthés analogiques qui s’engouffrent dans une gorge profonde dont la voix résonne en mode repeat. On sent que Krazy Baldhead sait manier les instruments, il y a quelque chose de brusque et d’attachant chez ce chauve allumé, digestion et rejection constante d’influences éparses, accouchements de mini pavés convulsifs… A suivre. Quant à Detect, il s’égare quelque peu par la suite, avec quelques bouts de techno-bonbon, mais se rattrape de justesse en plaçant l’ogive inédite Lotus suite Köln de Mr Oizo, l’auteur du fameux Moustache (half a scissor). Le funk minimaliste de Oizo fonctionne à merveille, tache le dance-floor et fait des allers-retours entre les années 70 et les pupilles fortes en basses tirées en direction des dancefloors conçus pour les junkies assoiffés du Pulp de Paname (ils sont nombreux…). La suite est de très bonne augure, comme en témoigne les participations de Modeselektor, Ra, Teamtendo, La Caution (Je te hais, extrait vivifiant de leur double album) ou encore Jackson, Utabi (un fragment du subtil Manchurian Candy) et un inédit du duo Fuck A Loop. Ca se passe à fond chez Didier.