Depuis que Kurt Cobain est passé à la télé avec un tee-shirt « Hi, how are you ? » dessiné par Daniel Johnston, alors créateur culte (90’s) des plus belles chansons pop du monde, enregistrées chez lui dans le plus simple appareil (un magnétophone), « le petit pape de la lo-fi » a vu se succéder nombre d’admirateurs dévots et attachés de presse célèbres, accompagnateurs ou producteurs improvisés (Jad Fair, Kramer,Yo La Tengo) au chevet d’une carrière fragile, à protéger absolument. Le dernier en date étant le très respecté Mark Linkous de Sparklehorse, qui a ici invité ses amis (et lesquels ! Beck, Mercury Rev, The Flaming Lips, M Ward, Tom Waits…) à venir célébrer le talent unique et encore toujours trop obscur (d’où ce titre, « Reprises découvertes ») du song-writer texan, ce petit obèse (désormais barbu) à la voix chevrotante et aux mains tremblantes, qui a pondu quelques unes des plus belles chansons du rock américain, inspirées des Beatles, de la Bible, de Casper le gentil fantôme ou de Captain America. Cette compilation de reprises et d’originaux rend hommage à une figure essentielle de la pop culture américaine, une sorte de « personnal Jesus » pour beaucoup de monde, qui a motivé bien des carrières musicales, avant de péricliter quelque peu, l’âge et la maladie (il est un peu fou) poussant, en « George-Bushismes » et « Walt-Disneyisme » douteux, que ceux qui ne veulent pas grandir ne voudront pas voir non plus.
Parmi ceux-ci, occupés à seulement célébrer l’éternelle chanson pop et sa positivité radieuse, on distinguera deux genres de thuriféraires : le pompier, qui rajoute des rayons de soleil jusqu’à tout recouvrir de sa pâte épaisse, et le naturaliste, respectueux de la couleur d’origine, qui ne souhaite que restaurer l’oeuvre originale et rendre visible le caché. Dans la première case, on reprochait déjà à Mark Linkous sur l’album Fear yourself, malgré tout son amour sincère pour Daniel Johnston, de couvrir sa voix, son chant, ses chansons, avec un peu trop d’arrangements, un peu trop de notes et d’ambitions, au regard de mélodies qui s’épanouissent mieux dans l’humilité. Ce travers est de nouveau de mise ici. Le Go de Sparklehorse with The Flaming Lips, avec ses chants d’oiseaux, son piano réverbéré et sa voix triplée, ressemble malheureusement un peu trop au Real love posthume de John Lennon sur l’Anthologie des Beatles (trop produit, post-mortem, mystique à deux centimes d’euros). Même commentaire pour le Blue clouds de Mercury Rev ou le Dream scream de Death Cab For Cuttie, tandis que TV On The Radio, groupe à notre goût surestimé, insuffle une obscurité moderniste (piano raide, rythmique lapidaire) et étrangement inquiétante à Walking the cow, sans jamais transcender véritablement le morceau (réécouter la reprise des Lucky Sperms sur Ecstatic Peace ou même de A Camp, plus récemment, autrement réussies). Bright Eyes ont également plein de bonnes intentions, mais semblent ne pas comprendre ce qu’ils chantent, interprétant pop et en toute légèreté une chanson proprement terrifiante (Devil town : « I was living in a devil town / Didn’t know i twas a devil town / All my friends were vampires / Didn’t know they were vampires / It turns out that I was a vampire myself / In a devil town »). Le Love not dead de Thistle a un côté sympathique, le morceau original se trouvant détourné en bombinette punkoïde à la Blondie, pour une réappropriation réussie.
Du côté des « humbles » continuateurs et restaurateurs de l’oeuvre unique de Daniel Dale Johnston, l’album commence logiquement par une reprise parfaitement rock et tordue de My life is starting over again par Jad Fair et le Teenage Fanclub, fans de longue date et collaborateurs parfaits ; Gordon Guano est lui-même sur Impossible love (entendre la voix des Violent Femmes sur une chanson de Johnston a un côté cross-over assez fascinant) ; le Living life des Eels a une saveur réussie de chanson de Noël ; Calvin Johnston est minimal et grave (un rythme lo-fi et la voix limite gospel) sur Sorry entertainer, tout comme Beck (guitare et harmonica) sur True love will find you in the end ; Vic Chesnutt se la joue ambiance bar et slide-guitar sur Like a monkey in the zoo ; Matt Ward reprend Story of an artist comme le génie qu’il est : distance juste, compréhension intime du texte, valorisation discrète de la mélodie ; Tom Waits clôt ce premier disque avec un King Kong chamane et sauvage, transfiguré et magnifique (« They say he was a monster, but he was the king »).
Un deuxième CD, indispensable à toute personne ignorante de l’oeuvre magnifique de Johnston, donne à entendre les 19 titres originaux, particulièrement bien choisis, des vieux morceaux enregistrés au magnétophone (Grievience, Walking the cow, Sorry entertainer) aux morceaux plus récents (Dream scream). Que des purs classiques, accompagnés d’un livret parfait reprenant le texte et l’interview de Daniel Johnston par le fameux Everett True, ainsi qu’une plage CR-Rom avec des lyric, dessins et vidéos… Rien que pour ça, ce disque est évidemment un must-have.
Reste cette pochette bizarre, montrant le musicien dans un cimetière, un bouquet de fleurs à la main, devant sa propre tombe. Ce qui nous rappelle ce qu’on pensait en voyant Daniel Johnston jouer à Paris l’année dernière : qu’il avait quelque chose de déjà-mort, interprétant mécaniquement ses plus belles chansons comme des standards dévitalisés. Assez désespérant. Cette compilation vient nous prouver que Daniel Johnston, au contraire, est plus vivant que jamais. Longue vie.