Neuf ans qu’ils tiennent bon : neuf ans que les Madrilènes d’Acuarela promeuvent et défendent la fine fleur du folk/rock cultivée de l’autre côté des Pyrénées. Neuf ans et ce qui était un désert rocailleux pour les non-Espagnols est devenu une oasis (Migala, Nachos Vegas, Aroah…) qui attire à elle pèlerins et curieux venus d’autres latitudes : Will Odlham, Piano Magic, Thalia Zedek… Alors quoi de mieux qu’éditer une compilation pour afficher le capital de sympathie dont bénéficie le label en Espagne, en Europe et ailleurs ? Pour sa deuxième compilation en un an, Acuarela remet ainsi les mêmes couverts mais reçoit de nouveaux hôtes, plus nombreux que la première fois : Acuarela songs 2 réunit 39 titres, rien de moins. Comme c’était le cas pour leur première agape, les Madrilènes ont prié chaque invité d’offrir un morceau ayant pour thème, titre ou paroles, un (vague) lien avec le nom du label : acuarela = aquarelle = watercolor.
Trois tables de treize groupes et artistes ont donc été dressées. Et pour que chacun fasse connaissance (au risque de provoquer quelques incidents de tablée), on a pris soin de mélanger parents proches, cousins d’Amérique et simples connaissances. Au menu : essentiellement de la six cordes, sous ses déclinaisons folk, indie rock, hardcore, country cinémascope, pop, new wave, mais aussi des pièces néo-classiques, des arrangements électroniques et quelques bidouillages pour le dessert.
Alors ça babille qui en espagnol, qui en français, qui en anglais (beaucoup même, et parfois avec un bel accent country comme avec les REMesques The Strugglers ou Green Apple Sea et le décorum slide de rigueur), mais il faut bien reconnaître que dans ce plaisant brouhaha, on ne rigole pas toujours. On parle même de choses finalement assez tristes ou sérieuses : Experience et son rock existentiel, Timesbold et ses tendances un peu goths à la Black Heart Procession, Encre… On se fait des confidences à l’oreille : magnifique démo de Mus en équilibre sur deux claviers, avec l’irrésistible voix de Mónica Vacas murmurant des mots doux en espagnol, et Diariu (Nacho Vegas aux guitares et… Mónica Vacas, toujours elle, au chant). On badine quand même un peu avec les Bitter Springs, Jack ou 27 et sa chanteuse imprimant légèreté et fraîcheur à sa pop à la Frente. On se rappelle le bon vieux temps : L’Altra reprenant admirablement le Colours de Donovan, les New-Yorkais de Vitesse talonnant les Magnetic Fields avec leur géniale bombinette new wave. Il y a ceux qui nous émeuvent comme The Zephyrs et leurs arpèges de guitare country-pullmanesques. Il y a encore ceux tirés à quatre épingles : les Bordelais de Guimo (la classe des Tindersticks, la léthargie de Spain en plus) et Transmissionary Six (Terri Moeller des Walkabouts au chant, Paul Austin des Williard Grant Conspiracy à la guitare) pour un morceau sur un fil suspendu très Mazzy Star.
Dans ce genre de réunion, il y a bien sûr toujours ceux qui font des manières, indiffèrent ou gonflent un peu. Parmi ceux-là, les épigones de tout poil : pas plus que les faux méchants de Lisabö (avec un roulement de batterie qui rappelle le Give it away des Red Hot, dur dur…). La pop musclée de Manta Ray n’impressionne guère, surtout lorsqu’elle s’étale sur six minutes. Mais peut-être est-ce moi qui ai un problème avec le rock indé actuel… Quant au climat intimiste créé par le piano et les arrangements de voix de P:ano, il aurait pu charmer si la voix de Larrissa Loyva ne se confondait pas tant avec celle de Mimi Parker de Low, et si le thème de piano de Nick Krgovich ne semblait pas emprunté à … Radiohead (un morceau « piano-bar » de Kid A, il me semble). Il y a encore les gnangnans : impossible de faire plus bêta que les paroles de Amor (Get me « A »). Second degré ? la balade de Refree ne tranche quant à elle jamais entre balade gentillette et kitcherie pour emballer les filles du camping de la plage. Et puis il y a l’erreur de casting : le cas Lee Ranaldo. En s’incrustant avec ses potes (Licht à la guitare et Marclay aux platines), évidemment que ça ne passe pas inaperçu, l’épaisseur du son de leur impro est inimitable, mais il faut bien reconnaître que leurs aventures guitaristiques sont quelque peu inappropriées dans pareil aréopage.
De telles réunions ne seraient pourtant pas tout à fait réussies s’il n’y avait pas le petit caïd, le plus beau, celui qui aimante les paires d’yeux admiratives : Sr. Chinarro et son claustrophobique El single chiquichancla. Des dissonances de violon et de guitare, un pied, une voix sourde et fatiguée, au phrasé imperturbable : il n’en faut pas plus à Antonio Luque pour montrer que son projet boxe définitivement dans une autre catégorie. Acuarela songs 2 est ce qu’on appelle une auberge espagnole, non ?