Apôtre hyperactif de la fusion jazz world, l’infatigable Trilok Gurtu publie les comptes-rendus de ses expérimentations avec la régularité d’un métronome ; si l’obsession du métissage peut sembler constituer un programme de recherches un peu court, la générosité communicative du percussionniste indien donne à sa musique colorée et décomplexée des allures de grande fiesta internationaliste et à lui-même des airs d’homme-orchestre doux rêveur et charismatique. Littéralement né dans la musique traditionnelle indienne (son grand-père joue du sitar, sa mère, Shobha Gurtu, est une star du chant classique et préfère lui mettre entre les mains un tabla plutôt qu’un hochet), il suit durant l’adolescence les cours d’Abdul Karim, tablaïste légendaire, puis découvre les percussions africaines et la batterie. Contaminé par le virus du jazz à la fin des années soixante, il fait ses armes en Europe, croise la route de Charlie Mariano, John Tchicai, Barre Philips ou Terje Rypdal pour finalement se retrouver dans l’orchestre du trompettiste Don Cherry, avec lequel il travaille deux ans. Suivront des collaborations avec Nana Vasconcelos, Jan Garbarek, Zakir Hussain et, bien sûr, le groupe Oregon, dont il détermine décisivement la direction au milieu des années 1980.
Gurtu tourne aujourd’hui à la tête de son propre ensemble, « The Glimpse », ancrant sa musique dans la tradition indienne tout en l’ouvrant largement à des influences et sonorités pop ou rock qui, il faut être honnête, flirtent parfois avec le mauvais goût. Mais qu’importe : « Nous ne construisons pas des barrières mais des ponts », répète-t-il inlassablement. Marieur jovial, il mêle allègrement sitar, tabla, tarang et harmonium à des voix africaines (il a offert ses micros à Angélique Kidjo, Neneh Cherry ou Salif Keita, pour les plus connus ; Wally Badarou avait d’ailleurs produit son album The Beat of love, lequel n’avait hélas pas compté parmi ses plus grandes réussites), des pianos jazzy, des guitares franchement rock’n’roll (Gary Moore) et même, pourquoi pas, à un quatuor à cordes. Résultat : un bric-à-brac mondialiste qui s’assume, des compositions sans génie mais suffisamment balancées pour vous donner la bougeotte, une place prépondérante laissée aux performances vocales, une production léchée qui ouvre aux huit morceaux la porte des radios commerciales et, surtout, un déferlement de percussions qui fait tout le charme de la musique du frappeur de Bombay. N’y allez pas en quête d’authenticité touristique, de sonorités radicales captées à même l’instrument et de sensations roots ; Broken rhythms, tout comme les précédents albums de Gurtu, évoque bien plutôt ces feux d’artifice mégalomaniaques et universalistes dont Weather Report avait le secret et dont le sorcier autrichien Zawinul reprend épisodiquement les recettes avec son Syndicate : du show, de la couleur et beaucoup d’épices. Tant et si bien qu’on aimerait que le percussionniste nous envoie bientôt, plutôt qu’une carte postale imprimée en studio, une vraie lettre captée live, là où la fête est vraiment complète.