On n’attendait plus grand-chose d’un nouvel album de Tricky, et effectivement, on n’a pas eu grand-chose. L’ancien Massive Attack, désormais résident bourgeois du New Jersey, ne s’est jamais vraiment remis de Maxinquaye, premier opus innovant de trip-hop déviant. Et malgré le léger sursaut Nearly god, sa musique ressemble à une de ces boules magiques de notre enfance, celles dont le goût s’affadit progressivement, à mesure que l’on se rapproche de son noyau central, un sale chewing-gum au goût tristement chimique, qu’on s’empressera de recracher dans la première poubelle.
Ainsi Blowback se présente comme une succession de mauvais goût et de couleurs voyantes, trip-hop, hip-hop, ragga, soul, heavy-metal se succédant sans souci de cohérence, aux colorants trop forts, qui rendent la langue chargée de coloris vulgaires, et finissent par révéler l’insipide essence d’une musique à seule visée commerciale. Des esquisses de morceaux (Over me), de tristes resucées de Rage Against The Machine (Girls, en fait accompagné par des Red Hot Chili Peppers en très petite forme), une reprise déformée et agaçante de Wonder Woman (avec John Frusciante à la guitare et aux vocaux, qu’on ne croyait pas capable d’un tel mauvais goût, ici plus proche de Brian Adams que de ses merveilleux albums solo), un plan de synthé piqué à Sweet dreams de Eurythmics (You don’t wanna), une reprise de Nirvana (Something in the way), un duo avec Cyndi Lauper ; Tricky recycle à tour de bras les influences populaires, ne faisant finalement que brasser de l’air, dans le vain espoir de produire un disque mainstream et accessible. Malheureusement, Tricky sera toujours trop tricard et individualiste pour vraiment toucher le grand public, et c’est à la limite ce qu’on peut lui souhaiter de mieux. Qu’il sorte de ces ambitions de succès qui lui font produire de la soupe au kilomètre, et redevienne l’artiste qu’on a cru voir en lui à ses débuts : celui qui ne cherche pas, mais qui trouve.
Pas grand-chose à sauver de cet album indigeste et grossier. Peut-être les trip-hoperies d’usage (Five days) ou les bizarreries déstructurées qui font la « patte » Tricky (A song for yukiko). Peut-être la reprise de Kurt Cobain, assez étrange et éloignée de l’originale, avec ses rythmiques tribales et ses petits samples tordus, pour susciter un semblant de sympathie. Et encore, ce sera une sympathie a posteriori pour ce fabuleux songwriter qu’était Kurt Cobain. On se prend à penser tristement que, de Tricky et Kurt Cobain, le plus vivant des deux n’est pas celui que l’on croit.