Il se trouve beaucoup de monde, depuis un bout de temps, pour tailler des croupières à Tricky : personnalité détestable, musique sans directions, délire paranoïaque aigu, morgue insoutenable. La seule chose que l’on veuille bien encore lui accorder, ce sont des prestations scéniques d’une rare intensité, la capacité à mettre en scène son agressivité et à délivrer des sets où les morceaux, inédits ou rendus méconnaissables, parviennent à subjuguer. Petit problème : ceux-là mêmes qui condamnent l’homme et sa musique aujourd’hui sont ceux qui ne se sont pas remis d’un premier album –Maxinquaye– qui trouvait le moyen de surprendre constamment tout en restant aisément accessible. Par la suite, on n’a pas pardonné à Tricky d’avoir emprunté, sur le deuxième album ou pour son projet Nearly god, des chemins de traverse, des voix nettement plus impénétrables. C’est lui faire un mauvais procès, lui faire le reproche de son succès rapide et soudain.
Bien sûr, l’homme n’est pas infaillible, son caractère agace, il est un poil à gratter permanent. En effet, il faut souvent gratter la surface de morceaux parfois hermétiques et en apparence déstructurés pour retrouver l’essence de ce qui a fait la renommée des élégies écorchées de Maxinquaye. C’est que la musique du bonhomme est le reflet plutôt fidèle -donc sincère- de son esprit tourmenté. Mais pour ceux -espérons qu’ils soient encore assez nombreux- qui voudront bien faire l’effort de se plonger dans ce Angels with dirty faces (comment ne pas saisir l’autodérision de ce titre…), il y des pépites à remonter à la surface. Il y notamment trois titres de suite, for two, Demise, Tear out my eyes, réellement impressionnants d’inventivité et de maîtrise. On dit souvent de Tricky qu’il ne canalise ni son énergie ni sa créativité, mais écoutez donc ces trois-là et admirez -on ne parlera pas ici de beauté formelle- la liberté de ton et le degré d’aboutissement des idées. On vous voit alors venir : Tricky est un laboratoire à sons, il a perdu le sens de la structure des morceaux, ce qui les rend agréables à l’oreille, le sens de la musique en quelque sorte. Oui, mais n’est-ce pas à ce prix que la musique évolue ? N’est-ce pas à ce prix que d’autres, plus tard, viennent récolter le fruit des expérimentations passées ?
Et puis, histoire d’amadouer le chaland, il y a Broken homes, avec la toujours bien placée PJ Harvey, le plus classique Money greedy qui ravira ceux qui aiment ce ton acide et granuleux dans la voix de Tricky, 6 minutes, tout bonnement époustouflant, et bien d’autres encore. On ne vous demande donc pas de réviser, sans raisons et sur parole, votre jugement sur Tricky, mais seulement d’essayer de vous concentrer un tantinet sur les compositions proposées et d’en apprécier les mérites, à chaque fois différents. Il faut faire abstraction des préjugés négatifs répandus un peu partout dans la presse. On vous accordera un chose : cet homme est vraiment vicieux !